L’origine du Sanitat de Nantes remonte aux épidémies de peste de la fin du XVIe siècle. Confronté au développement de la maladie, le Conseil des bourgeois de Nantes décide d’éloigner les pestiférés hors les murs de la ville.

Après quelques hésitations, le maire et les échevins – contraints par l’urgence de l’épidémie – choisissent de s’emparer de la tenure de l’Asnerie, alors inhabitée et dont la situation hors de la ville la rend immédiatement disponible pour accueillir des malades.

Dès qu’il a connaissance de cette spoliation, le propriétaire – Laurent de Marchy, sieur de la Vrillère – se plaint au corps de ville dans une déclaration du 21 août 1570 :

Déclaration des inrérests et dommaiges èsquels Laurent de Marchy, sieur de la Vrillère, demande et requiert luy estre faict droit et raison contre MM. les maire, eschevins et bourgeois de cette ville de Nantes, de ce que ils se sont à son nonseu et contre sa volonté saisi du lieu, tenement, domaine et appartenances de l’Asnerie, sises au bas de la Fosse dudit Nantes, auquel lieu sans le congé et permission dudit sieur de la Vrillère, ils auroient faict mettre et loger les malades pestiférés, ôter et déplacer un grand nombre de meubles y estans, rompu et brisé les portes dudit lieu de l’Asnerie.

L’affaire se règle finalement lorsque la ville acquiert l’Asnerie, par contrat du 2 août 1572, pour la somme de 1 900 livres. Cet acte marque la naissance officielle du Sanitat de Nantes qui demeurera à cet emplacement jusqu’à l’édification de l’Hôpital Saint-Jacques, sur le fonds d’un ancien prieuré bénédictin, situé dans le village de Pirmil, en 1831.

Il semble que, pressé par les ravages de la peste, le corps de ville ait choisi un peu hâtivement l’emplacement du nouvel asile ; très vite, il fallut construire de nouveaux bâtiments afin d’en augmenter la capacité d’accueil. Lors des épidémies de 1583 et 1596, on fit dresser des tentes dans les vignes jouxtant le Sanitat où furent installés les convalescents.

En 1602, la ville afferma le logis du bois de la Touche, proche de l’Asnerie, et en 1612, on fit édifier de nouvelles constructions, parmi lesquelles la chapelle du Sanitat.

Malgré la croissance soutenue du Sanitat, il s’avérait toujours insuffisant face aux épidémies nouvelles.

De 1570 à 1632, la peste s’est abattue douze fois sur Nantes, et en 1632 le conseil de ville dut encore recourir à l’expropriation pour augmenter le domaine du Sanitat. La dernière épidémie eut lieu en 1636, et dès lors le Sanitat était libre pour toute autre affectation.

Dans son ouvrage essentiel à plus d’un titre, Léon Maître retrace l’évolution du Sanitat de sa fondation en tant qu’asile de pestiférés à sa transformation en hôpital général. Il montre comment ces locaux, disponibles en l’absence d’épidémie, sont dans un premier temps utilisés comme prison (en 1622 y furent emprisonnés des calvinistes pris au siège de La Rochelle, et en 1643 des prisonniers espagnols), puis dans un second temps convertis en dépôt de mendicité (janvier 1650).

C’est à partir de ce moment que le Sanitat devient officiellement le lieu choisi pour le renfermement des pauvres (mendiants valides). Il conserve , dans les actes passés par ses administrateurs, le nom de Sanitat, en souvenir de son ancienne destination ; ainsi le registre des délibérations du Bureau du Sanitat commencé en 1653 s’intitute-t-il : " Segond Regestre – Des déliberations du Bureau de la Police et Direction des Pauvres Renfermez dans l’Enclos du Sanitat de cette ville, et autres auxquels on donne subsistance. Commencé le 6e jour de Septembre 1653 ". De la même façon, les contrats passés par les directeurs du Sanitat les qualifient-ils jusqu’en 1677 de " depute du Bureau des pauvres Renfermez dudit Nantes " ; ensuite, ils sont désignés comme " directeurs de l’hospital general des pauvres renfermez de cette ville ".

A partir de 1650, la mission du Sanitat est d’accueillir les marginaux dont la place dans la société n’est pas assurée, ceux que Robert Castel appelle les " inutiles au monde ".

Aussi son titre d’" hôpital " est-il trompeur pour le lecteur contemporain qui serait tenté d’y voir un lieu de soins. Sous l’Ancien Régime, le secteur de l’assistance se partageait entre deux types d’établissements : d’une part, l’Hôtel-Dieu chargé d’accueillir et de traiter les malades et les blessés, et d’autre part, l’Hôpital Général, lieu du " grand renfermement ", où l’on retrouve ceux que la société considère comme des malades sociaux et dont le traitement doit être fondé sur l’éducation ou la rééducation.

Le groupe le plus nombreux parmi les pensionnaires du Sanitat est inévitablement celui des mendiants, personnes valides sans travail ni logis, contraintes de mendier leur subsistance, et que tant les lois royales que les règlements de police de la ville font enfermer afin de les cacher aux yeux de la société et de les " rééduquer ". C’est la principale mission du Sanitat, dépôt de mendicité depuis 1650, créé dans le but de soulager la ville des vagabonds et des mendiants.

Léon Maître, au chapitre " Pensionnaires de l’hôpital général " décrit le Sanitat comme un capharnaüm insensé :

On ne peut rien imaginer de plus grotesque que la physionomie de l’ancien Sanitat, telle qu’elle apparaissait aux XVIIe et XVIIIe siècles. L’Hôpital Général de Nantes était tout à la fois un dépôt de mendicité, un asile d’enfants trouvés, un refuge pour les femmes de mauvaise vie, une maison de retraite pour les vieillards de tout rang, un asile d’aliénés, une maison de force, de détention et de correction, un atelier de manufactures, enfin, je dirai même, une maison de commerce.

Il ne manque aucune catégorie de personnes dans cette énumération, chaque groupe cité apparaît dans la population du Sanitat, en plus ou moins grand nombre, en fonction des époques.

Dès lors, l’enjeu du travail des pensionnaires du Sanitat – objet de cette étude – apparaît clairement : il s’agit – pour les directeurs des pauvres – d’occuper l’ensemble des résidants du lieu afin de prévenir les troubles (violence, atteintes aux mœurs, etc.) que la cohabitation forcée de tous ces individus entraîne forcément.

Parmi l’ensemble des personnes qui peuplent la Maison, comme elle est souvent appelée, nous nous intéresserons principalement aux enfants, dont l’activité revêt différents aspects et est particulièrement utile à l’institution.

Les enfants trouvés – ou enfants de police – sont admis au Sanitat à partir de dix ans, auparavant c’est l’Hôtel-Dieu qui les prend en charge, les soigne et veille à leur bien-être.

Selon la Coutume de Bretagne, les enfants exposés doivent – lorsque les parents sont inconnus – être pris en charge par la paroisse où ils ont été trouvés. Pour ceux dont au moins l’un des parents est connu, ils sont renvoyés dans la paroisse de ce parent. A Nantes, un arrêté du 24 mars 1719, renvoie tout enfant étranger à la ville, dont la mère a été identifiée, au lieu de sa conception. Ce texte sera repris et renforcé dans ses dispositions par un arrêt du Parlement de Rennes du 4 août 1725. L’Hôtel-Dieu de Nantes recueille donc tous les enfants trouvés dont les parents n’ont pu être identifiés ou s’ils ont été, qui sont originaires de la ville.

Lorsque l’enfant a atteint l’âge de dix ans, il quitte l’Hôtel-Dieu pour être confié à l’hôpital général qui se chargera de son éducation et de lui apprendre un métier.

Le partage des attributions entre les deux établissements ne se fait pas toujours sans heurts : le 8 août 1709, le Parlement de Rennes rend un arrêt ordonnant le placement à l’hôpital général de Nantes de deux enfants dont les parents sont emprisonnés. Les deux fillettes devront y être gardées jusqu’à la libération de leurs parents. Le Bureau du Sanitat reçoit sans problème l’aînée en ce qu’elle a l’âge porté par le règlement de la Maison (dix ans), mais refuse la cadette qui n’a que sept ans et dix mois. Le 17 août 1709, le Parlement rend un second arrêt dans la même espèce, et ordonne que l’enfant sera conduite " devant Messieurs de l’hostel Dieu pour y garder nourir et entretenir laditte Izabelle Manach jusques a l’age de dix ans pour estre ensuite recueue a l’hopital general pour luy apprandre un mestier ".

Cette situation va perdurer jusqu’à la création d’un établissement spécialisé pour l’accueil des enfants trouvés en 1782.

Cette création n’aurait pas été possible sans la générosité de Guillaume Grou, négociant et administrateur de l’Hôtel-Dieu de Nantes qui, indigné par le sort réservé aux orphelins, décide – en 1772 – de léguer une somme de 200 000 livres aux enfants de police de la ville de Nantes (testament en date du 12 juin 1772).

Le 28 novembre 1774, Grou décède ; les 200 000 livres sont remises en commun aux administrateurs de l’Hôtel-Dieu et du Sanitat. Les deux Bureaux vont se disputer la gestion du legs ainsi que la direction du futur établissement.

Malgré les divergences de vues entre les deux institutions, la Maison des orphelins, dite " Maison Grou " ouvre ses portes le 30 avril 1782 ; elle accueille tous les enfants de police, sans distinction d’âge, et désormais sans leur imposer la cohabitation avec d’autres catégories de personnes.

La querelle entre les Bureaux de l’Hôtel-Dieu et du Sanitat ne prend fin qu’en mars 1783, par la signature d’un concordat qui partage la direction de l’établissement entre les parties, sous la présidence de l’Évêque de Nantes. Cette co-direction sera maintenue jusqu’en 1792, lorsque la Maison Grou devient un dépôt d’utilité générale dont les pensionnaires sont des " enfants de la Patrie ".

Par la suite, les orphelins réintègreront l’Hôtel-Dieu (1811) ; et en 1833, la Maison Grou sera transformée en dépôt de mendicité.

L’autre catégorie de résidants du Sanitat qui retiendra notre attention est celle des artisans. Cette fois-ci il s’agit de pensionnaires volontaires de la Maison puisque aucune force ne les a contraints à venir y résider.

Il peut sembler étonnant de trouver des ouvriers vivant dans l’hôpital général, hormis le cas des personnes employées à l’entretien des lieux. Mais la présence de ces hommes qui travaillent leur métier et surtout qui l’enseignent aux enfants de la Maison est attesté dans la plupart des hôpitaux généraux depuis la naissance de l’institution.

A Nantes, il apparaît que cette pratique a existé dès la fondation du Sanitat comme dépôt de mendicité, puisque le règlement du 31 décembre 1650 relatif à l’organisation du Bureau des gouverneurs des pauvres renfermés dispose qu’il sera établit un " commissaire des manufactures de laine et fil " dont la mission sera notamment de " visiter les ouvriers et prendre garde s’ils s’acquittent de leur devoir, s’ils ont soin d’apprendre les enfants qui leur ont esté donnés en charge et si lesdits enfants leur obéissent et emploient bien le temps ; y donner l’ordre et correction nécessaire ".

Le contrat qui lie les ouvriers à la Maison est un contrat de bail d’une boutique sise dans l’une des cours du Sanitat, assorti de l’obligation pour l’artisan de prendre en apprentissage un ou plusieurs enfants de la Maison. De cette manière chacune des parties y trouve un avantage : l’ouvrier a la possibilité de s’établir en dehors des règles corporatives, et le Sanitat pourvoit à l’éducation de ses jeunes pensionnaires en même temps qu’il tire un revenu de ses immeubles.

Pour mener aux destinées de ce monde à part entière que représente le Sanitat, il existe un Bureau, assemblée des gouverneurs des pauvres, organisé dès 1650, et composé de quinze membres représentants chacun un corps constitué de la ville ou une paroisse : le chapitre de la Cathédrale, la Chambre des Comptes, le siège Présidial et la Mairie fournissent chacun un député, et chaque paroisse de la ville et des faubourgs élit une personne chargée de la représenter.

Le Bureau, désigné pour un semestre, s’assemble une fois par semaine ; lors de ses réunions, il évoque tous les événements survenus pendant la semaine écoulée (admissions, sorties, décès, infractions, etc.) ainsi que toute affaire qui nécessite une délibération.

A chaque réunion, le Bureau élit un Commissaire de semaine, dont le rôle est la direction effective de la Maison pendant une semaine. Celui-ci doit être présent dans l’enceinte du Sanitat tous les jours de cette semaine de " permanence " ; il assure la police intérieure de la Maison, et veille en relation avec les autres directeurs au bon fonctionnement de l’institution. Au terme de son mandat hebdomadaire, il rend compte au Bureau de ses actes pendant les sept derniers jours.

En plus de la fonction de Commissaire de semaine, les membres du Bureau se répartissent les tâches et nomment pour la durée du semestre : un Directeur ecclésiastique, chargé de superviser l’instruction religieuse des pensionnaires ; un Secrétaire qui tient les registres et les rôles de la Maison ; un Trésorier ; un Avocat de l’aumône, dont la mission consiste à poursuivre et défendre les intérêts de la Maison en Justice si nécessaire ; quatre Commissaires des vivres de la charité, chacun par roulement d’une semaine ; un Commissaire des vêtements des pauvres ; quatre Commissaires de la subsistance, chargés de contrôler les pauvres non renfermés ; et enfin, un Commissaire des manufactures de laine et fil, dont la mission consiste à contrôler le travail des pauvres renfermés.

Comme le note Léon Maître, ce règlement n’a jamais été soumis à l’approbation d’une autorité supérieure, et les résistances tant internes qu’externes qu’a entraînées cette lacune ont conduit la municipalité de Nantes à solliciter des lettres royales afin de remédier à cette lacune.

Un arrêt du Conseil d’État du 27 février 1725 dote l’hôpital général de Nantes d’un nouveau Bureau composé désormais de cinq députés nés (l’Évêque de la ville, un député du chapitre de Saint-Pierre, un de la Chambre des Comptes, un du Présidial, et un de l’Hôtel-de-Ville) parmi lesquels se retrouvent les représentants des corps constitués de la ville, ainsi que de huit autres élus nommés par le Bureau de l’hôpital général. Avec cette réforme, le Bureau du Sanitat devient un corps coopté, fermé, et réservé à la haute bourgeoisie de la ville.

Les lettres patentes pour l’hôpital général de Nantes, envoyées par Louis XV en février 1760 reprennent cette organisation du Bureau en y ajoutant un membre né, le premier président de la Chambre des Comptes.

Cette organisation du Bureau du Sanitat de 1650 à la Révolution, dans laquelle l’autorité ecclésiastique conserve une place importante, contredit en partie le jugement de Michel Foucault, pour qui l’hôpital général " est une instance de l’ordre, de l’ordre monarchique et bourgeois qui s’organise en France à cette même époque. Il est directement branché sur le pouvoir royal qui l’a placé sous la seule autorité du gouvernement civil ; la Grande Aumônerie du Royaume, qui formait jadis, dans la politique de l’assistance, la médiation ecclésiastique et spirituelle, se trouve brusquement mise hors circuit ". Si cette opinion se justifie à l’échelon central, elle ne peut s’appliquer au plan local. En effet, si le roi a remis entre les mains des autorités municipales la responsabilité de l’assistance aux pauvres, celles-ci se sont généralement adjointes le concours du clergé, lequel conserve donc un rôle important dans la gestion des établissements hospitaliers.

Outre le Bureau des Directeurs, le personnel du Sanitat est composé de plusieurs catégories de personnes : d’abord les aumôniers, au nombre de deux, dont la mission consiste au gouvernement spirituel des pensionnaires dont ils doivent conduire l’instruction religieuse. Ce sont eux qui disent les messes, dirigent les prières, entendent les pensionnaires en confession, assurent le catéchisme, administrent les sacrements. Mais leur rôle ne s’arrête pas là, et ils sont aussi chargés de la surveillance des pensionnaires et de tenir les registre d’entrées et de sorties des pauvres renfermés.

Le pendant féminin des aumôniers, avec quelques nuances, est la Supérieure, parfois appelée Gouvernante des pauvres ou Intendante. Son rôle, dans la Maison, est fondamental, et son autorité est nécessairement importante. En relation directe avec le commissaire de semaine, elle apparaît comme une " surintendante générale " sur l’ensemble du Sanitat, exerçant à la fois une surveillance sur tous les pensionnaires – et particulièrement sur les filles et les femmes – et donnant à chacun sa tâche, sa besogne dans l’intérêt et pour le bon fonctionnement de la Maison.

Un " règlement de Mlle la supérieure ", que Léon Maître pense avoir été rédigé vers 1700, énumère les nombreuses prérogatives de la supérieure ; mais au-delà de ses attributions et de ses pouvoirs, il décrit une femme respectée et appréciée de tous, qui se comporte vis-à-vis de chacun avec dévouement et humanité. Le deuxième alinéa de ce texte marque immédiatement la déférence qui lui est due : " Elle ne sera pas traitée et nommée sœur comme les autres ; mais sera appelée de tous Mademoiselle ou Madame selon sa qualité ". Effectivement, la supérieure est souvent une femme issue de la haute bourgeoisie de la ville sinon de la noblesse, qui fait le vœu de se consacrer aux pauvres.

Autour de la Supérieure, et sous son autorité directe, sont les servantes des pauvres, véritables fourmis ouvrières de la Maison ; des femmes simples qui sont entrées au Sanitat dans le but de servir, sans contrepartie, si ce n’est le logis et la nourriture.

Un " traitté fait avec les sœurs ", du 20 mars 1683, passé entre le Bureau des directeurs et les sœurs en charge à l’époque, renforce encore cette image quasi-militaire de la fourmi : l’accent est mis sur les tâches qu’elles doivent accomplir dans la Maison, mais aussi sur leur nécessaire utilité et efficacité, leur interdisant par exemple les mortifications corporelles par " crainte de se rendre inutiles ou à charge de la maison ", de plus " elles apporteront un soin particulier à ne perdre pas un moment de temps dans des emplois inutiles et à s’occuper incessamment, saintement et utilement, se souvenant souvent qu’elles se sont consacrées totalement à Dieu, dans le service des pauvres et que c’est faire une espèce de sacrilège que de dérober des moments si précieux, destinés à des occupations si saintes et dont il faudra rendre un compte si exact et si rigoureux ".

A côté de ce personnel, il y a aussi des hommes, serviteurs à gages, employés à conduire les pensionnaires dans leur travail.

De plus, le Sanitat dispose de ses propres archers, au nombre de quatre, chargés de procéder à l’interpellation des mendiants valides dans les rues de la ville. L’attitude de ceux-ci devait être bien peu digne pour que la population leur voue une telle animosité que les directeurs des pauvres soient contraints à de nombreuses reprises de recourir au siège présidial pour faire respecter ces agents. Il faut croire que la menace du Présidial n’a pas suffit, puisque le 13 avril 1732, les directeurs de l’hôpital général en appellent à l’Intendant de Bretagne, des Gallois de la Tour, afin qu’il prenne des mesures pour faire respecter les archers du Sanitat.

Le Sanitat donne ainsi une impression de fourmilière, à l’activité incessante et variée. Le travail occupe une place de choix dans l’établissement ; et c’est essentiellement par ce biais qu’il s’ouvre au monde et entretien des contacts permanents avec la société.

Or ces relations entre l’Hôpital général et la ville ne sont pas sans conséquences, et lorsque les artisans du Sanitat étendent leur activité au-delà des murs de la Maison, cela provoque nécessairement une réaction hostile des corps de métiers concernés.

Nantes est une ville jurée, c’est-à-dire que le travail y est réglementé et que son organisation est confié à différentes corporations de métiers. Un artisan ne peut donc pas s’établir librement dans la ville ; il doit auparavant s’agréger à une corporation, en acquérant la maîtrise. Une fois maître, il peut exercer son métier selon les règles de son art et en respectant scrupuleusement les statuts de la corporation à laquelle il appartient.

Les corporations nantaises n’acceptent pas le travail des ouvriers du Sanitat – qui ne sont pas maîtres, et qui exercent leur métier en vertu d’un privilège que prétend posséder le Sanitat – et mènent à leur encontre une lutte judiciaire très active tant au XVIIe, qu’au XVIIIe siècle. Le Sanitat, dans la plupart des cas, prend fait et cause pour ses ouvriers, si bien que de très nombreux procès l’opposent aux corporations de la ville.

Un autre aspect de l’intrusion de l’Hôpital général dans la sphère du travail est la mise en œuvre de différents privilèges qu’il possède depuis des temps parfois très anciens. Parmi ceux-ci est le privilège exclusif de confectionner les châsses pour les enterrements, ou celui de fournir les ornements (" têtes de morts " et " armoiries ") des convois funèbres.

Le respect de ces privilèges oblige le Sanitat – dès le milieu du XVIIe siècle – à poursuivre en justice les corporations qui rejettent leur exclusivité et prétendent tout au moins obtenir un partage de ces droits.

La lutte entre l’Hôpital général et les corporations de métiers ressemble parfois à un supplice de la mythologie grecque : dès que l’un des adversaires semble toucher au but – la partie adverse ayant épuisé ses moyens de recours – le conflit reprend à partir d’un nouvel élément, et tout est à recommencer.

L’idée de ce travail est née du dépouillement du fonds de l’Hôpital général aux Archives Départementales de Loire-Atlantique. La découverte dans ces documents de très nombreuses pièces impliquant les corps d’arts et métiers permet de s’interroger sur l’intrusion d’un établissement hospitalier dans un domaine qui lui est – à première vue – totalement étranger. L’existence de ces pièces, atteste la réalité de la présence et de la place tenue par l’Hôpital général dans le commerce nantais aux XVIIe et XVIIIe siècles. Au-delà de cette simple constatation apparaissent plusieurs interrogations liées aux causes qui ont mené les directeurs des pauvres à accueillir des ouvriers dans l’enceinte du Sanitat, à faire travailler les pensionnaires de la Maison. La question de l’organisation de ce travail se pose aussi, ainsi que celle de ses résultats.

L’intérêt d’une telle étude est d’abord d’exploiter un fonds jusqu’ici peu traité ; en effet, depuis l’ouvrage de Léon Maître, rares sont ceux qui ont investi les archives du Sanitat.

Le fonds a été sérieusement endommagé par le bombardement de l’Hôtel-Dieu lors de la Seconde guerre mondiale, c’est peut-être une des causes de ce désintérêt, les chercheurs craignant d’entamer une recherche pour laquelle beaucoup de documents ont été détruits.

Néanmoins, il convient de fortement nuancer ces dommages ; si quelques liasses ont effectivement disparu, le fonds du Sanitat demeure aujourd’hui tout à fait cohérent et exploitable en l’état.

Le véritable problème est que les archives du Sanitat sont disséminées entre le fonds du Sanitat conservé aux Archives Départementales de Loire-Atlantique et celui conservé aux Archives Municipales de Nantes. De plus, de nombreuses pièces concernant le Sanitat se trouvent dans le fonds de l’Hôtel-Dieu, aux Archives Départementales. Enfin, une véritable synthèse sur le Sanitat ne pourra se faire sans le dépouillement d’autres fonds comme celui de l’administration communale de Nantes. Dès lors, il s’agit d’un travail de grande envergure qui nécessiterait plusieurs années.

L’étude d’un établissement de province comme le Sanitat de Nantes permet en outre de confronter la politique royale de lutte contre la mendicité avec son application au plan local. La mise en œuvre des directives centrales se heurte ainsi aux réalités de chaque province, et le fonctionnement de l’institution obéit aux particularités locales. A ce titre, le Sanitat est représentatif des caractéristiques nantaises, en particulier par rapport à la composition de son Bureau et aux choix économiques de ses Directeurs.

L’objectif de ce travail n’est pas de fournir un tableau du Sanitat à une époque déterminée. Il ne consiste pas en une étude générale de l’institution à un moment particulier de son existence. Il tente au contraire de couvrir – pour une question donnée – l’ensemble de la période d’activité du Sanitat comme hôpital général, soit de la seconde moitié du XVIIe siècle à la fin du XVIIIe siècle.

Au-delà des exemples, des affaires évoquées, ce que tente de révéler ce travail c’est le fonctionnement d’une institution souhaitée et administrée par des bourgeois soucieux de l’ordre social et de la prospérité de leur cité.

A travers le fonctionnement de cette institution, et en particulier de l’organisation du travail des pensionnaires, cette étude vise à appréhender la mise en œuvre au plan local de la politique royale du traitement de la pauvreté. Ce traitement, au sens médical du terme, poursuit un double but : le maintien d’un ordre social par la mise à l’écart et la rééducation des pauvres par la religion et le travail.

L’organisation du travail dans une institution telle que le Sanitat pose de nombreux problèmes : tous les pensionnaires ne sont pas aptes aux mêmes tâches, il faut alors opérer une savante distribution des rôles, mettre en place un encadrement efficace, et en même temps pourvoir à l’ensemble des besoins de la Maison. Le pari est difficile à tenir, mais les administrateurs de l’Hôpital général vont le relever et se comporter parfois même avec une certaine audace. Néanmoins la prudence est un devoir pour ces hommes qui administrent un budget en perpétuel déficit, et ils devront renoncer aux investissements à long terme pour se contenter des expédients les plus sûrs.

Cette rigueur budgétaire est d’autant plus nécessaire que les pères des pauvres doivent affronter les tracasseries permanentes des corporations de métiers. Cette chicane, si caractéristique des mœurs de l’Ancien Régime, contraint le Bureau du Sanitat à défendre ses droits et ses privilèges ; il devra à cette occasion faire preuve d’une certaine combativité.

Cette pugnacité du Sanitat est entièrement due à la composition du Bureau des directeurs des pauvres au XVIIIe siècle : à l’image du corps de ville, il est essentiellement composé de négociants que la pratique des affaires a préparés à la gestion difficile d’un établissement tel que le Sanitat.

Les sources disponibles en matière d’assistance sont très nombreuses ; elles ont profité du développement continu de la recherche en histoire de la protection sociale qui – depuis plusieurs années – a permis de mieux connaître les fonds d’archives relatifs à l’assistance et à la bienfaisance. En 1994, le Comité d’histoire de la sécurité sociale a publié un Guide du chercheur en histoire de la protection sociale, préparé par Jean-Pierre Gutton, qui inventorie les sources tant manuscrites qu’imprimées utiles à ces questions.

Les sources sur lesquelles se fonde ce travail sont les archives du Sanitat, conservées aux Archives Départementales de Loire-Atlantique ainsi qu’aux Archives Municipales de Nantes. Ces fonds sont la base permettant de comprendre l’institution, son organisation et son fonctionnement ; ils permettent d’en retracer l’histoire et de la comparer aux autres hôpitaux généraux du royaume.

L’étude du contentieux qui oppose le Sanitat aux corps d’arts et métiers se base également sur la série HH des Archives Municipales de Nantes, qui contient les liasses relatives au commerce, et en particulier le fonds des manufactures et des corporations de la ville.

Le thème de recherche choisi pour cette étude a peu souffert des destructions d’archives dues aux bombardements, seule la cote H 721 relative au privilège du Sanitat de faire et de vendre les cercueils pour tous les enterrements de la ville et des faubourgs de Nantes nous a véritablement fait défaut. Pour l’étude de cet aspect du sujet, nous avons utilisé l’inventaire de la série établi avant la guerre ainsi que l’ouvrage de Léon Maître.

Cet ouvrage, paru en 1875 nous a été d’une aide précieuse pour la réalisation de ce travail ; cette Histoire administrative des anciens hôpitaux de Nantes, qu’il faut compléter avec L’assistance publique dans la Loire-Inférieure avant 1789, parue quatre ans après, est l’instrument indispensable pour appréhender le fonctionnement de l’assistance et plus particulièrement des deux hôpitaux nantais – l’Hôtel-Dieu et le Sanitat – avant la Révolution.

Depuis cette période très peu de travaux ont été consacrés aux hôpitaux nantais, et surtout au Sanitat ; les ouvrages de Léon Maître demeurent donc une source de première importance sur le sujet, malgré leur ancienneté. Ces ouvrages constituent véritablement une source au sens où ils ont été rédigés avant la destruction de certaines liasses, à partir de documents d’archives en partie disparus aujourd’hui, et qu’ils en sont désormais la seule trace. A ce titre, ils méritent de figurer parmi les sources.

Cette étude du travail au sein de l’Hôpital général de Nantes va tenter de répondre à plusieurs questions parmi lesquelles sont les fondements et l’évolution de la politique royale vis-à-vis des pauvres et de la mendicité, ainsi que la mise en application de cette politique dans une grande ville du royaume comme Nantes. C’est en particulier l’enjeu financier et économique pour l’établissement chargé de cette politique qui retiendra notre attention dans une première partie.

La seconde partie de cette recherche sera consacrée, à travers l’étude du contentieux généré par le travail des pensionnaires de l’Hôpital général, à la mise en application de la politique royale par les bourgeois de la ville, ainsi qu’à la résistance opposée par les corps d’arts et métiers contre le développement de l’institution.

 

  1. Le Sanitat : renfermement et travail des pauvres.
    1. La nécessité du travail des pensionnaires.
    2. Avant d’examiner les raisons qui ont fait du travail des pensionnaires de l’Hôpital général une nécessité, il faut s’interroger sur l’évolution de la perception de la pauvreté depuis le XVIe siècle. Nous étudierons particulièrement les différentes transformations de la législation royale concernant les pauvres ainsi que la réglementation locale sur cette matière.

       

      1. Le " grand enfermement " et l’esprit de la législation royale.
      2.  

        1. De la charité à la répression.
        2. La question de la pauvreté, subie ou choisie, soulève depuis l’origine de l’humanité un grand nombre de questions, portant notamment sur l’attitude que doit adopter la société à leur égard. Partagés entre compassion et répulsion, les hommes ont longtemps hésité sur la conduite à tenir vis-à-vis de la pauvreté.

          Dans l’occident médiéval, la pauvreté est une valeur spirituelle, une recherche d’imitation du Christ ; les pauvres vivent de l’hospitalité et des aumônes.

          De cette conception de la chrétienté, en rupture avec l’enrichissement et la politisation de l’Église catholique, se sont développés un certain nombre d’ordres religieux dont la règle se fonde en grande partie sur la pauvreté de leurs membres. La recherche de pauvreté de ces " ordres mendiants " correspond ici à une volonté de retour à l’idéal évangélique.

          Le développement de ces communautés est inséparable de celui des villes qui, à partir du XIVe siècle, attirent de plus en plus de populations. Les moines ont la volonté de prêcher au plus près des hommes et s’installent au cœur même des cités.

          Les villes apparaissent à cette époque comme un refuge contre les crises, la famine et les épidémies, aussi l’ensemble des populations rurales dont la subsistance n’est pas assurée se déplace vers les cités.

          L’abri que représentent les remparts a vocation à les protéger autant des bandes de mercenaires que de la faim ou de la maladie.

          Ce mouvement de population a pour conséquence rapide le regroupement dans les bas quartiers des grandes villes de tous les hors-la-loi, ceux pour qui la société n’a prévu ni rôle, ni place : ce sont les bannis, condamnés, enfants abandonnés, bâtards, filles mères, prostituées, malades, handicapés, etc.

          Ces mendiants, vagabonds, valides ou invalides, vivent en grande partie de l’aumône ; leur nombre croissant pose de plus en plus de difficultés aux municipalités qui ne peuvent et ne souhaitent plus les entretenir par la charité publique.

          Au début du XVIe siècle, les mutations économiques qui touchent l’ensemble des territoires européens ont pour conséquence d’accroître considérablement le nombre des laissés-pour-compte. Inexorablement, ceux-ci se regroupent dans les centres urbains et viennent gonfler le nombre des mendiants et des voleurs. Les villes se retrouvent ainsi assaillies par la famine et la pauvreté. A Nantes, Léon Maître relate en ces termes la famine de 1531 :

          La famine […] fut si affreuse et les privations avaient été si longues parmi les indigents que beaucoup mouraient, dit un contemporain, aussitôt après avoir mangé.

          Laissons parler le receveur des deniers de cette année-là : " Il est à entendre que audict an 1531, septier seille valloit 6 livres, et que la famine fut au quartier nantois si grande, que homme jamais ne l’avoit veue telle, et pour ce que les pouvres mourrint de faim par les rues, chemins et en leurs maisons, et estoient en telle nécessité, qu’ils rompoient et persoient murailles, maisons, édiffices pour recouvrer du pain. "

          Afin de soulager une aussi grande détresse, les bourgeois assemblés décidèrent qu’on ferait des quêtes extraordinaires. Deux notables furent choisis dans chaque paroisse pour recueillir les aumônes, et le produit des collectes servait à acheter du pain qu’on distribuait. […]

          Le bruit s’en répandit aux alentours, et bientôt de 1 600 le nombre des indigents monta à 5 000. Pour soulager tant de malheureux, on eut recours à tous les moyens. On envoyait par les rues des gens avec des tonneaux pour recueillir la soupe que chacun voudrait bien donner.

          Faute de n’avoir jamais eu à envisager une situation d’une telle ampleur, les municipalités se trouvent débordées lors des grandes famines, et la nécessité d’une politique cohérente vis-à-vis de la population indigente devient – dans les premières années du XVIe siècle – impérieuse.

          La réponse au problème de la pauvreté dans les villes vient d’abord par des mesures contraignantes des villes elles-mêmes, qui doivent parer à l’afflux croissant des indigents dans leurs murs. Il s’agit d’abord de réglementations municipales prises lorsque la situation devient intenable, et qui sont axées autour de deux aspects : d’une part, la fermeture de la ville aux mendiants et vagabonds étrangers, accompagnée de l’expulsion de ceux qui ne peuvent prouver l’antériorité de leur résidence dans les murs. Et d’autre part, la mise en place d’un règlement qui fixe les principes et le fonctionnement des mesures d’assistance et de bienfaisance.

          Le but poursuivi est de décourager l’immigration des pauvres en rendant la ville moins attrayante.

          A Nantes, il semble que le premier texte de ce type date du 16 avril 1568. Il se présente en ces termes : " C’est le Règlement et pollice des villes et forbourgs de Nantes faict et advisé en la maison épiscopale dudict Nantes le saezeiesme jour d’apvril, l’an mil cinq cent soixante huict ". Ce texte de neuf pages, regroupant vingt-quatre articles, a été pris en présence de l’Évêque de la ville, du gouverneur des ville et château de Nantes, du doyen de la ville, du grand vicaire, du maire et des échevins, le tout transmis au sénéchal qui a paraphé.

          D’emblée, ce règlement – qui touche aux pauvres – établit une distinction entres les " vrais paovres " et les " mendicans vallides ". Le système mis en place est simple, il s’appuie sur les ordonnances royales, et commence par interdire toute mendicité dans la ville et dans ses faubourgs.

          La raison de cette mesure est claire : " Pour obvier que les vrais paovres soient frustrés des aulmosnes du peuple par le moyen des mendicans valides ".

          La mendicité est donc interdite, cette mesure vise les mendiants valides, ceux " qui pourront travailler et gaigner leur vie par leur labeur, tant hommes que femmes ", mais elle s’applique aussi aux " vrais " pauvres, " parce que il leur sera pourveu de nourriture selon et ainsy qu’il est cy après déclairé ".

          En conséquence, l’article trois du règlement interdit à tous les habitants de la ville et faubourgs de Nantes de faire l’aumône dans un lieu public, que ce soit dans les églises, les rues ou même devant leur porte. Ils peuvent néanmoins, si toutefois ils le désirent, " faire porter les reliefs de leurs repas à l’hospital ou aux maisons et demourances desdits paovres à leur dévotion ". Ainsi, le règlement n’interdit pas la charité privée, mais il condamne seulement toute manifestation publique de celle-ci. Le but est clairement de soustraire la mendicité à la vue du public, il s’agit d’une mesure d’ordre.

          Ce texte répond donc parfaitement au double objectif précédemment décrit : d’abord éliminer la mendicité dans la ville, en faisant la part entre les vrais pauvres et ceux qui peuvent travailler ; et de la même façon organiser un dispositif d’assistance contrôlé par les autorités.

          Les " paovres passans ", vagabonds étrangers à la ville, bénéficient aussi d’une aumône, allouée par les gouverneurs des pauvres, dans le but exclusif de " passer leur chemin. […] passer promptement et […] retirer en leur paroisse ".

          Le système mis en place par la municipalité passe par la nomination de trois gouverneurs des pauvres, choisis parmi les " notables personnaiges " : l’un d’Église, l’autre de justice et le troisième " un eschevin ou aultre notable bourgeois ".

          Ces trois administrateurs, nommés pour une année, ont toute autorité sur les affaires concernant les pauvres. Ils ont en charge l’administration de la bienfaisance dans la ville, et dans ce but, ils déterminent quels pauvres méritent d’être secourus, ordonnent leur réception dans les hôpitaux de la ville, ou leur attribuent des secours.

          Pour cela, ils sont investis d’un pouvoir de surintendance sur les administrateurs des hôpitaux et aumôneries de la ville, lesquels se trouvent par la même occasion déchargés de la police des pauvres.

          Ces gouverneurs des pauvres disposent de l’ensemble des moyens financiers mis jusque-là à la disposition des hôpitaux : ils ont un droit de regard sur la gestion de leurs biens et décident de l’utilisation des aumônes.

          Pour le recouvrement de la charité publique, un receveur particulier est nommé pour chacune des paroisses de la ville et de ses faubourgs. Leur mission est de prospecter chaque foyer de leur paroisse et de collecter toutes les semaines les dons volontaires des habitants. Un receveur de l’Église assure la même fonction auprès de l’Évêque et des autres ecclésiastiques.

          Des troncs sont également disposés dans chaque église de la ville ainsi que dans les hôtelleries.

          La distribution des secours se fait, outre dans les hôpitaux de la ville, le dimanche, dans chaque paroisse. Cette distribution est sévèrement contrôlée, et pour qu’il n’y ait pas de fraude, les " noms, surnoms, vacation et lieu de l’origine de chacun desdits paovres et leur eage " seront portés sur un registre avec le montant de l’aumône donnée à chacun ; de plus, pour être facilement identifiables, " porteront lesdits paovres une marque sur leur robe en lieu apparent et de telle coulleur que lesdits gouverneurs aviseront ".

          Enfin, lorsque la charité se fera plus rare, " afin d’inciter les riches à continuer les aulmones et exhorter les paovres d’avoir patience en leur paovreté ", les gouverneurs des pauvres pourront organiser une procession à travers la ville à laquelle assisteront tous les indigents.

          Les gouverneurs peuvent également, lorsque cela est nécessaire, envoyer des pauvres aux portes de la ville, avec des boîtes " tant pour demander l’ausmosne que empescher que nul entre en ville en habit de paovre s’il ne l’est ".

          Pour donner force légale à ce règlement qui réorganise le Bureau de l’Hôtel-Dieu, le corps de ville, après l’avoir fait viser par le Sénéchal, puis vérifier par le Parlement de Bretagne (arrêt du 16 octobre 1568), présente le texte au roi Charles IX, qui l’homologue dans des lettres patentes données à Saint-Maur des Fossez le 7 janvier 1569.

          Ce n’est qu’en 1726, que l’organisation du Bureau de l’Hôtel-Dieu sera modifiée, par un arrêt du Conseil d’État du 30 mars, qui porte le nombre des directeurs de l’Hôtel-Dieu de Nantes à sept.

           

        3. L’évolution de la législation royale.
        4. Comme les villes, le pouvoir central va être confronté aux problèmes liés à l’accroissement de la pauvreté dans les premières années du XVIe siècle.

          De la même façon que dans les grandes villes du royaume, la réponse royale sera d’abord locale, le roi n’intervenant véritablement que pour sa capitale, Paris.

          Bronislaw Geremek cite une " loi adoptée par le Parlement de Paris, le 5 février 1535 " dont les dispositions, très sévères, ont pour objet de sanctionner par la peine de mort les mendiants valides qui refuseraient de travailler ou – s’ils sont originaires d’une autre ville – de quitter Paris. Ceux qui simulent des infirmités sont passibles du fouet, du bannissement, et en cas de récidive, de toute autre peine qui semblera nécessaire aux juges. De plus, les habitants de Paris se voient interdire l’exercice public de la charité, sous peine d’amende.

          Dans un premier temps, la législation royale sur les pauvres demeurera strictement limitée à Paris, mais elle n’en jouera pas moins un rôle d’exemple pour les municipalités ayant à intervenir sur cette matière. De nombreux règlements locaux font ainsi expressément référence aux textes parisiens ; le phénomène est habituel, les villes du royaume calquent leur réglementation sur Paris en de nombreux points.

          D’une certaine manière, alors que le pouvoir royal n’a pas encore établi de politique réfléchie en matière d’assistance aux indigents, il encourage les autorités locales à agir par elles-mêmes, à tenter certaines expériences ; l’ordonnance de Moulins de février 1566, impose notamment aux villes, bourgs et villages d’entretenir les pauvres qui y sont nés ou qui y résident depuis un certain temps.

          Les méthodes et les moyens de cette assistance sont à déterminer à l’échelon local, à chaque communauté d’habitants de déterminer et de mettre en place le système le plus adapté à sa situation.

          Pour Bronislaw Geremek, le développement du système d’assistance – au XVIe siècle – est essentiellement dû aux volontés et aux résolutions locales :

          D’une manière générale, on ne devrait pas surestimer l’importance des initiatives du pouvoir central des pays européens en matière d’assistance sociale. Dans tous les exemples que nous avons présentés, la réforme s’accomplit principalement grâce à l’activité des autorités locales. La réorganisation des institutions hospitalières et de l’assistance aux pauvres est opérée, dans les villes, par à-coups, sous forme de réaction aux fluctuations de la conjoncture. Toutes ces initiatives successives, indépendamment de leur caractère, tantôt provisoire, tantôt plus durable, laissent à chaque fois une trace qui marque l’évolution de la ville ; les expériences s’accumulent, les innovations s’ancrent peu à peu dans la réalité quotidienne, les nouvelles formes d’organisation de la vie sociale n’éveillent plus de réticence psychologique.

          Le grand tournant de l’histoire de l’assistance aux indigents en France est le passage au " Grand enfermement " opéré dans la première moitié du XVIIe siècle.

          Plusieurs expériences seront nécessaires avant l’extension du système à tout le royaume.

          La première entreprise, à l’automne 1611, est due à l’initiative de Marie de Medicis : un règlement de police interdit la mendicité et ordonne à tous les mendiants étrangers de quitter la ville ; les autres doivent trouver du travail ou – s’il n’y parviennent pas – sont invités à se présenter dans l’un des trois hôpitaux désignés sous le nom d’" Hôpital des Pauvres Enfermez ". Dans un premier temps, la mesure est un échec total, sur les huit à dix mille mendiants parisiens visés par le texte, moins d’une centaine se présente. Mais grâce au zèle des archers de la ville, ils sont 800 au bout de six semaines. En 1616, leur nombre est porté à 2 200.

          Le fonctionnement de ces trois établissements, organisé par un mandement royal du 27 août 1612, porte déjà en lui la politique d’enfermement généralisé qui sera suivie à partir de 1656 ; il constitue " le premier pas vers une politique systématique de réclusion des pauvres ".

          Les hommes, les femmes et les enfants, enfin les malades sont rigoureusement séparés, chacun des trois établissements se voit affecter une catégorie de pensionnaires. La nourriture des pauvres est réduite au strict minimum, afin de ne pas " les entretenir en leur oisiveté ".

          La vie dans l’établissement est organisée autour de deux axes : religion et travail. Tous les jours, les pensionnaires doivent assister à la messe, dite entre six et sept heures du matin ; ils sont de plus tenus de se confesser et de suivre le catéchisme dispensé par les quatre prêtres attachés à ces trois hôpitaux.

          Le travail est obligatoire tant pour les hommes que pour les femmes et les enfants, chacun à sa tâche :

          8 - Les hommes seront emploïés et travailleront à moudre du bled aux moulins à bras qui seront dressés dans les hospitaux, brasser de la bierre, scier des aix et à battre du ciment, et autres ouvrages pénibles.

          9 - Les femmes, filles et petits enfans au-dessous de huit ans, travailleront à filer, faire des bas d’estaine, boutons, et autres ouvrages dont n’y a métier juré.

          Les hommes doivent ainsi effectuer des travaux " pénibles ", pour ne pas leur donner le goût de l’assistance. Les femmes ainsi que les très jeunes enfants doivent aussi travailler, mais – et cela mérite d’être remarqué – ils ne pourront en aucun cas empiéter sur les privilèges des corporations puisque leurs ouvrages ne doivent pas correspondre à une activité jurée. Ce qui semble ici être un principe important pour le pouvoir royal ne se retrouvera pas dans l’avenir puisque certains hôpitaux seront érigés en franchise, et viendront concurrencer les corporations de métier.

          Le rythme de vie dans l’institution est réglementé afin qu’il n’y ait aucun temps libre : les journées doivent être harassantes et ne laisser aucune place à l’oisiveté, sous peine pour les pauvres d’" être chastiés à la discrétion des maîtres et gouverneurs ".

          Michel Foucault, dans Surveiller et punir, consacre de nombreuses pages à l’étude du système disciplinaire tel qu’il apparaît dans ces Statuts pour les hospitaux des pauvres enfermés. Il dissèque le fonctionnement concentrationnaire et la volonté d’aliénation du corps et de l’esprit qui est à la base de l’institution de l’hôpital général en France. La troisième partie de cet ouvrage, consacrée à " la discipline ", identifie le fonctionnement de ces institutions charitables, de bienfaisance à " ces méthodes qui permettent le contrôle minutieux des opérations du corps, qui assurent l’assujettissement constant de ses forces et leur imposent un rapport de docilité-utilité, c’est cela qu’on peut appeler les "disciplines". […] La discipline fabrique ainsi des corps soumis et exercés, des corps "dociles". "

          S’il ne semble pas que l’hôpital général recherche l’efficacité des " corps exercés ", utiles à leur maximum, il est évident que l’institution vise à leur docilité ; qu’elle cherche, en cassant les corps, à paralyser les esprits.

          Le dispositif qui sera par la suite généralisé à tout le royaume est bien celui d’une institution répressive, aux méthodes véritablement policières, mais qui participe pourtant d’une volonté d’assistance et de bienfaisance. L’accès aux hôpitaux des pauvres enfermés est exclusivement réservé à " ceux qui justifieront estre natifs de la ville, prévosté et vicomté de Paris, ou bien qui y auront sy long-temps séjourné, qu’il y auroient vraysemblablement perdu l’espérance de toute autre retraite ", excluant ainsi " tous les autres [qui] seront tenus pour forains et chastiés exemplairement, estant trouvé mandians dans ladite ville et fauxbourgs après le temps qui leur aura esté donné pour se retirer ". Cette disposition prouve que nous sommes en présence d’une institution de bienfaisance, que l’admission à l’hôpital est – comme le montre Bronislaw Geremek – " une sorte de privilège, […] l’expulsion est considérée comme un punition parce qu’elle s’inscrit, en fait, dans un système de gradation de peines ; elle signifie le transfert d’une prison dans une autre qui sera pire : les vagabonds arrêtés sont conduits dans les cachots du Châtelet ".

          Bronislaw Geremek analyse parfaitement ce paradoxe d’une politique d’assistance répressive animée par un dessein charitable. Il le relie à la Contre-Réforme, et en particulier à l’activité de la Compagnie du Saint-Sacrement, créée dans les années vingt du XVIIe siècle et qui, dès 1631, promeut l’internement des mendiants et vagabonds afin d’assurer l’efficacité de la politique de charité axée autour du travail et de l’éducation religieuse. L’enfermement poursuit donc un double but : ordre dans la société et efficacité du " traitement " et de la rééducation des pauvres.

          L’ordonnance de janvier 1629, connue sous le nom de Code Michau, étend à tout le territoire du royaume l’expérience menée à Paris et à Lyon. Ce texte aurait pu marquer le début officiel de l’enfermement généralisé des pauvres en France, mais les Parlements, opposés à son caractère réformateur, lui firent subir de nombreuses modifications ou – pour certains – refusèrent de l’enregistrer. En définitive, il ne fut guère appliqué.

          Dès lors, le texte qui marque l’entrée de la France dans ce que l’histoire appelle le " grand renfermement ", est l’Édit portant établissement de l’hôpital général pour le renfermement des pauvres mendians de la ville et fauxbourgs de Paris d’avril 1656.

          Il s’agit d’une mesure parisienne une fois de plus, mais qui précède de peu son extension à tout le territoire.

          Le préambule de cet édit est particulièrement intéressant, Jean-Pierre Gutton y remarque notamment l’influence de la Compagnie du Saint-Sacrement dans l’intérêt porté au salut des pauvres ainsi qu’aux motivations religieuses du texte.

          Ce préambule montre aussi que le problème des pauvres, et plus précisément celui des mendiants, est devenu en cinquante ans une question cruciale pour la police du royaume.

          Le texte rappelle les expériences qui ont été menées à Paris en 1612, leur échec au bout de cinq ou six années, mais l’attribue plus à un manque de moyens et de direction générale qu’à une erreur de méthode. Le nouveau texte reprend le principe de l’enfermement mais il donne cette fois-ci les moyens nécessaires à la réussite d’un " si grand dessein ".

          Une fois de plus, il ne s’agit pas d’une mesure répressive comme l’on pourrait être tenté de le croire, mais elle obéit à des motifs de charité chrétienne : " considérant ces pauvres mendians, comme membres vivans de Jésus-Christ, et non pas comme membres inutiles de l’État ; et agissant dans la conduite d’un si grand œuvre, non par ordre de police, mais par le seul motif de la charité ".

          Le succès de cet hôpital est tel qu’en 1657, il loge environ 6 000 pauvres dont la grande majorité s’est présentée volontairement pour y être acceptée.

          En août 1661, Louis XIV prend un Édit contre les mendians valides, qui loue la réussite de l’Hôpital général de Paris : " les directeurs dudit hôpital général ont travaillé avec tant d’affection et de succès, que notredite ville [de Paris] et les faubourgs se trouvent beaucoup soulagés de l’importunité, surcharge et désordre des mendians ". Néanmoins, beaucoup de désordres se commettent encore, malgré les règlements de police des directeurs de l’Hôpital général ; Louis XIV " considérans que la mendicité opiniâtre et affectée par les personnes valides, est la source de tous les crimes contre Dieu et le public ", ordonne que ceux qui seront pris quatre fois à mendier seront, pour les hommes, punis des galères pour cinq ans, et pour les femmes et les filles, rasées, fouettées, et bannies pour dix ans de la prévôté et vicomté de Paris, " le tout sans aucune forme de procès ".

          Cet édit de 1661, qui intervient au moment où Colbert arrive aux affaires, marque la mise hors-la-loi définitive des mendiants valides, des " fainéans malicieux ".

          Enfin, un édit de juin 1662 porte, " qu’il sera établi un hôpital général en chaque ville et bourg du royaume pour les pauvres malades, mendians et orphelins ".

          Ce texte est – comme le fait remarquer Jean-Pierre Gutton – une injonction, il n’alloue pas les moyens financiers nécessaires pour créer et faire fonctionner ces institutions, ceux-ci restent à la charge des communautés d’habitants. Les résultats de l’édit sont donc dans un premier temps mitigés, puisque le pouvoir royal devra renouveler la mesure par un arrêt du Conseil de juin 1673 ainsi que par une lettre circulaire adressée aux évêques en juin 1676.

          Néanmoins, cette généralisation de l’enfermement des mendiants à tout le royaume permet soit la création de nouveaux établissements ; soit, dans les villes où de telles structures existaient déjà, la transformation de dépôts de mendicité en hôpitaux généraux. En quelques années, un grand nombre d’hôpitaux généraux recevront des lettres patentes royales et acquerront ainsi un statut juridique.

          Il est intéressant de noter dès maintenant que, même si souvent l’intendant de province participe activement au fonctionnement de l’institution, l’organisation et la gestion de ces hôpitaux est entièrement décentralisée, confiée à la charge des communautés d’habitants.

          Cette décentralisation totale peut avoir de graves inconvénients lorsque les administrateurs de l’hôpital négligent certaines démarches, notamment l’obtention de lettres patentes, lesquelles sont nécessaires pour donner une personnalité juridique à l’établissement.

          A partir de 1680, le pouvoir central va directement contrôler la politique d’enfermement des pauvres au moyen d’une direction centrale, confiée à Calloët-Querbrat, qui prend le titre d’" avocat général des pauvres ". Sous sa direction, trois pères jésuites, Chaurand, Guévarre et Dunod, vont sillonner la France pour inciter à la fondation d’hôpitaux généraux.

          Le succès de leurs missions est exemplaire, et contribue de manière importante au développement des structures d’assistance dans le royaume, même si certains établissements – fondés trop rapidement – n’ont qu’une existence éphémère.

          Le XVIIIe siècle va particulièrement s’intéresser aux questions d’assistance aux pauvres, de répression de la mendicité et du vagabondage ; outre les nombreuses brochures d’inspiration physiocratique, les différents articles de l’Encyclopédie, la législation royale va conforter sa position en faveur de l’enfermement généralisé par plusieurs textes, dont la Déclaration du 18 juillet 1724, véritable code pénal des mendiants.

          Dès le règne de louis XIV, le pouvoir royal considère la question de la mendicité comme relevant de la police, et les textes du XVIIIe siècle affichent clairement une volonté répressive.

          Une lettre du subdélégué de l’Intendant de Bretagne, en date du 3 novembre 1719, et adressée à M. Mellier, maire de Nantes, marque parfaitement cet esprit : les vagabonds et gens sans aveu arrêtés à Nantes et qui sont en état de travailler seront déportés vers les colonies. Les autres, " ceux qui par leur âge ou par infirmittés ne seroient d’aucune utilité dans ce pays là ", seront enfermés " au moins pendant une année [s’il sont pris] pour la première fois, pour la seconde pendant deux années et […] s’ils sont pris une troisième fois ils seront renfermés pour toujours ".

          Cette détention doit être dure, dans des conditions de confort minimum, ainsi, s’il est nécessaire de construire un bâtiment, " ont ne fera qu’un bastiment leger de quatre murailles […] avec la couverture pour mettre les vagabonds et mendiants a l’abry des injures du temps car il ne convient pas de leur fournir des retraites commodes mais plustot des lieux de correction ou d’azil pour faire perdre aux gens sans aveu la malheureuse habitude qu’ils ont contractez ".

          Le travail des femmes doit être " grossier ", celui des hommes pénible. La déclaration de 1724 ordonne de plus qu’ils couchent sur de la paille, et soient nourris de pain et d’eau seulement.

          La politique d’enfermement, si elle présente un intérêt évident en matière de police et d’ordre, coûte très cher aux communautés d’habitants ; par exemple, à Nantes, suite à la déclaration du 18 juillet 1724, le nombre des mendiants valides renfermés à augmenté de telle manière que l’Hôpital général ne peut tous les accueillir.

          De plus, " les hôpitaux généraux se transforment progressivement en maison d’accueil pour les fous, les prostituées et souvent aussi pour les malades : faute de place pour les vagabonds, "on dut (au milieu du XVIIIe siècle) relâcher la plupart des mendiants arrêtés"… ".

          Il semble qu’à une époque où les finances de la monarchie entrent pourtant dans une période de stabilité sinon de prospérité, le gouvernement ne se donne pas les moyens de sa politique vis-à-vis des pauvres et des marginaux en général. L’élargissement progressif du champ de compétences de l’Hôpital général montre qu’il n’y a pas de véritable politique réfléchie, et que ces établissements fonctionnent plus à titre de " dépôt " que de lieu de " traitement " d’un mal social.

          Robert Castel, en s’interrogeant sur la fonction du salariat, propose cette analyse du rapport de la société à la pauvreté :

          Dans une formation sociale où environ la moitié de la population doit se contenter de réserves minimales pour survivre, la pauvreté ne pose pas vraiment problème. Mieux : elle est acceptable, et même requise. Elle est inscrite dans les plans de la Providence et nécessaire au fonctionnement de la machine sociale. […] Mais un tel "État" ne peut constituer un tout harmonieux qu’à condition que riches et pauvres forment un couple stable dont les positions sont complémentaires, c’est-à-dire que la pauvreté soit intégrée. C’est de moins en moins la structure des sociétés préindustrielles de l’Occident chrétien. Elles sont peuplées, en nombre croissant de vulnérables. […] une part importante des pauvres est incessamment menacée de devenir misérable. […] C’est dans les processus de vulnérabilisation qui "ruinent les pauvres" qu’il faut chercher l’origine des perturbations affectant l’équilibre social.

          En 1767, le pouvoir royal reconnaît que les hôpitaux généraux – surchargés, aux ressources insuffisantes, et " qui ne disposent pas de lieux de force assez sûrs " – ne peuvent plus accueillir les mendiants. Le 21 octobre 1767, sont alors créés quatre-vingt " dépôts de mendicité ", dont la surveillance est confiée aux Intendants des provinces.

           

        5. Le Sanitat de Nantes.

        Dès sa création en tant que dépôt de mendicité en 1650, et avant la généralisation de la politique d’enfermement des pauvres à tout le royaume, le Sanitat de Nantes possède toutes les caractéristiques d’un hôpital général.

        Sa fondation, en 1650, s’intègre dans un mouvement commun à toute la province : une ordonnance de police du Parlement de Bretagne du 30 avril 1649 prend, pour la première fois, l’initiative d’enfermer les pauvres. Cette mesure sera ensuite étendue à toute la province par un arrêt de cette Cour du 29 janvier 1650.

        A Nantes, il ne semble pas que l’on ait attendu ce dernier arrêt puisque, le 16 janvier 1650, une délibération du corps de ville évoque la question de l’enfermement des pauvres.

        Alain Croix remarque qu’hormis Nantes et Rennes, il n’y a en Bretagne que Tréguier qui applique ouvertement l’enfermement systématique de pauvres avant l’édit de juin 1662 sur cette question. Cela ne veut toutefois pas dire que d’autres localités bretonnes ne pratiquent pas l’enfermement systématique, mais il n’en demeurent pas de traces écrites.

        Notons en outre que la création des établissements de Nantes et de Rennes est antérieure à la création de l’Hôpital général de Paris qui n’intervient qu’en 1656. Nous pouvons en déduire que la fondation de ces deux établissement bretons participe des initiatives locales de lutte contre la mendicité qui se multiplient depuis le début du XVIIe siècle.

        " L’essentiel de toute manière est cette éclosion au même moment en des lieux différents, Nantes et Rennes, ou la Bretagne et Paris. En ce domaine comme en tant d’autres l’édit royal de juin 1662 consacre simplement une attitude déjà très largement répandue ".

        Si à Rennes, le projet d’enfermement des pauvres, avancé par le Parlement, suscite l’opposition du corps de ville, qui craint les conséquences financières de l’ordonnance ainsi que le problème sanitaire que peut représenter cette mesure en cas d’épidémie de peste ; la situation à Nantes est toute autre.

        L’opposition ne vient pas de la municipalité qui semble avoir approuvé dès l’origine la mesure, et elle ne se fonde pas non plus – comme à Rennes – sur des motivations financières, mais porte plutôt sur le fond, c’est-à-dire sur l’opportunité – pour le bien des pauvres – de l’enfermement.

        Ces difficultés apparaissent dans un avertissement, aujourd’hui disparu, plaidant en faveur de l’institution d’un lieu pour l’enfermement des pauvres. Ce texte montre l’utilité de l’enfermement pour les pauvres, qu’il permet d’entretenir et de nourrir correctement, mais aussi pour le public qui ne sera plus trompé par ceux " qui ne sont point véritables pauvres, mais des fainéans et gens qui veulent vivre en liberté et remettre tout en désordre ". Enfin, il se termine par la menace de l’alternative à l’enfermement qui est l’imposition d’une taxe forcée en faveur des pauvres.

        La direction, l’organisation et le fonctionnement du Sanitat sont contenus dans un règlement du 31 décembre 1650. Il est intéressant de noter que le Sanitat s’est doté d’un véritable règlement dès son institution, tandis que – comme le note Alain Croix au sujet des différences d’organisation entre les établissements bretons – " la divergence des choix montre simplement que les premiers pas de la nouvelle organisation de l’assistance restent hésitants : le règlement rennais n’est mis en forme que sept ans après le début effectif de l’expérience. Évident, ce constat n’en est pas moins superficiel : il faut bien plutôt retenir, au-delà du détail, la capacité dont font preuve les édiles locaux dans le traitement d’un problème pourtant particulièrement difficile, la cohérence d’ensemble des dispositions retenues. Un texte comme celui élaboré par les Nantais en 1650 représente, onze ans avant l’ère colbertiste, un sommet de l’art réglementaire… ".

        A ce texte qui traite essentiellement de l’organisation du Bureau des Directeurs des pauvres, il faut ajouter un " règlement des pauvres renfermés du Sanitat ", datant de 1680. Il n’est pas certain que les administrateurs du Sanitat n’aient pas rédigé dès 1650 un règlement intérieur ; c’est d’ailleurs ce que semble affirmer Léon Maître lorsqu’il évoque " l’ancien règlement du Sanitat, qui, dit-on, était imprimé ".

        Le texte présumé de 1680 est un modèle de ce que Michel Foucault appelle la Discipline, organisation du temps et de l’activité heure par heure, sans espace de liberté ni place pour l’oisiveté.

        Ce règlement, qui semble inspiré de celui de la Salpêtrière à Paris, met l’accent sur la religion. A chaque paragraphe du texte, à chaque moment de la journée, les pensionnaires sont tenus de faire une prière, de chanter un hymne au Seigneur. Un passage du règlement est très instructif sur ce point : " L’Hôpital général étant une maison consacrée à Dieu, d’une manière toute particulière, et destinée aux œuvres de piété et de miséricorde, et au soulagement des pauvres qui sont si chers à Jésus-Christ, qui s’est fait pauvre lui-même pour notre amour, tous ceux de la maison auront grand soin de vivre dans la crainte de Dieu et la piété, de l’aimer, de s’entre secourir mutuellement, de se supporter les uns et les autres, et de se pardonner pour l’amour de Jésus-Christ, les fautes que les autres pourraient commettre à leur égard ". La religion au Sanitat passe avant toute chose, et ce règlement reflète parfaitement cet objectif de piété.

        Nous retrouvons donc dans ce texte l’axe qui donne l’ossature de tous les règlements des hôpitaux généraux : éducation des pauvres dans la religion et travail obligatoire.

        Le travail n’est pas l’objet principal de ce règlement qui l’évoque de manière diffuse, et toujours pour rappeler les devoirs de pensionnaires vis-à-vis du Seigneur : " pendant son travail, on aura soin d’élever son cœur à Dieu de tems en tems et lorsque l’horloge sonnera, par quelques courtes et saintes inspirations ".

        D’autres textes – particuliers pour chaque catégorie de résidants – ont dû exister pour réglementer le travail des pensionnaires du Sanitat ; de plus il est possible que ceux-ci se sont, au fil du temps, adaptés à l’évolution de la population de l’établissement.

        Outre celui daté du 31 décembre 1650, qui consacre un large paragraphe au Commissaire des manufactures de laine et fil, deux règlements sans date concernent " l’emploi des pauvres au profit de la maison " sont conservés aux Archives Départementales de Loire-Atlantique. Le premier de ces textes organise le travail des femmes et des filles reçues au Sanitat, et l’autre, intitulé " Règlement pour les garçons ", traite de la mise en apprentissage des jeunes gens ainsi que des relations entre leurs maîtres et les directeurs du Sanitat.

        Il est aussi probable que des règlements spécifiques aient existé pour chacune des manufactures de la Maison, mais nous n’en avons pas trouvé d’exemplaire.

        Un point mérite d’être souligné au sujet de l’ensemble des textes régissant l’organisation et le fonctionnement du Sanitat : hormis le règlement du 31 décembre 1650, dont Alain Croix remarque la grande originalité, il semble que tous les autres textes aient été rédigés à partir de modèles préexistants.

        La préparation des lettres patentes de 1760 est significative à cet égard, le dossier conservé aux Archives Départementales de Loire-Atlantique contient, outre l’ensemble des actes préparatoires à la rédaction du projet de lettres patentes, un certain nombre de règlements d’hôpitaux généraux du royaume.

        Le projet était de plus systématiquement comparé aux règlements des autres hôpitaux généraux ; en marge de chaque article du texte nantais était référencé le numéro de l’article correspondant des autres règlements. Le recours à cette technique comparative a clairement pour but de permettre la justification des privilèges allégués par la Direction du Sanitat.

        La présence de ces textes démontre que la Direction du Sanitat, lorsqu’elle devait procéder à la préparation d’un nouveau règlement, prenait connaissance et s’inspirait de ce qui existait ailleurs.

        Un dernier texte doit être évoqué : il s’agit du règlement pris à l’occasion de la création – au sein du Sanitat – d’un refuge pour les prostituées.

        L’intérêt de ce texte de 1723 réside dans la discipline extrêmement sévère qui était imposée à ces filles qui étaient rasées et privées de tous leurs effets personnels dès leur entrée dans la Maison. Cette mesure est, outre une nécessité d’hygiène, un moyen de les fondre dans un modèle physique et psychologique contrôlé. Tout au long de leur séjour, elles étaient considérées comme des " pénitentes ", obligées de garder continuellement le silence, et soumises plusieurs fois par semaine à la " discipline ", c’est-à-dire à des mortifications. Comme le note Léon Maître, " la vie des religieuses n’était pas ordonnée de façon plus pieuse ".

         

      3. Une nécessité financière.
      4. Nous avons vu que le travail forcé est avant tout imposé aux pensionnaires des hôpitaux généraux par la législation royale qui le conçoit comme l’un des remèdes à la mendicité.

        Mais le travail est aussi pour les établissements chargés du renfermement des pauvres une nécessité financière, puisqu’ils doivent assumer par eux-mêmes l’entretien des résidants et le fonctionnement de l’institution.

         

        1. L’ensemble des revenus de l’hôpital.
        2. Jean Imbert, dans son Histoire du droit hospitalier d’Ancien Régime, traite des revenus des hôpitaux en trois temps : le patrimoine hospitalier, la charité privée, et les secours publics.

          En ce qui concerne le patrimoine hospitalier, Jean Imbert remarque que tous les établissements ne sont pas dans la même situation, que les hôpitaux fondés à l’époque médiévale possèdent généralement " une dot immobilière [leur] assurant un minimum de ressources stables ", tandis que les hôpitaux généraux créés sous le règne de Louis XIV, à l’occasion des missions des pères Chaurand, Guévarre et Dunod, ne disposent la plupart du temps ni de domaine immobilier, ni de rentes constituées.

          Fondé en 1650, le Sanitat ne devrait donc pas disposer d’un patrimoine immobilier important, mais sa création en tant que dépôt de mendicité fut en réalité la transformation d’un établissement préexistant, ce qui lui a permis de profiter de l’apport de biens immeubles lui permettant au moins de fonctionner correctement dès sa création. Il a ensuite bénéficié de nombreuses donations constituées de domaines ruraux (terres, vignes, forêts, etc.) et d’immeubles urbains (maisons de ville). En 1698, les fermes constituent la première source de revenus du Sanitat avec 3 952 livres (auxquelles il faut ajouter 477 livres de rentes foncières), soit le quart du revenu global de l’institution, loin devant les dons et aumônes qui rapportent 2 569 livres. Néanmoins, s’il faut en croire Léon Maître, ces revenus sont modestes, et le patrimoine immobilier du Sanitat est loin d’être suffisant pour le mettre à l’abri d’un déficit budgétaire chronique dans la première moitié du XVIIIe siècle.

          Les rentes constituées, qui souvent assurent un revenu substantiel à l’établissement ne constituent pas non plus une ressource abondante puisque pour la même année, elles ne rapportent que 1 124 livres. A titre de comparaison, encore que la situation de chaque hôpital soit tellement particulière que toute analogie devrait être écartée par principe, les rentes de l’Hôpital général d’Ancenis représentent à la même époque la somme de 350 livres, tandis que les revenus du domaine immobilier s’élèvent à 200 livres en moyenne, pour un montant global de recettes estimé à 1 600 livres.

          La charité privée constitue la principale source de revenus du Sanitat ; c’est d’ailleurs son premier revenu au plan historique, puisque depuis le Moyen-âge les pauvres vivent de la charité. C’est par ce moyen que les hôpitaux ont constitué l’essentiel de leur patrimoine.

          Les premiers à donner au Sanitat sont avant tout les pensionnaires : il n’y a pas uniquement des gueux résidant dans la Maison, il arrive aussi que quelques gentilshommes ou riches bourgeois veuillent finir leur vie dans l’établissement, ou qu’une veuve aisée souhaite consacrer le reste de son temps aux pauvres ; dans ces cas ils abandonnent généralement leurs biens à l’Hôpital qui en retour s’engage à les loger et les entretenir jusqu’à leur mort.

          Les donations les plus importantes sont faites par testament, ainsi suivant la tradition médiévale, il n’y a pas de riche bourgeois qui omette dans son testament de faire une donation aux pauvres de la ville. Dans certains cas, la générosité des testateurs permet à l’établissement des investissements inimaginables autrement.

          A ce titre, l’exemple le plus significatif pour Nantes est le legs Grou, du nom de ce généreux négociant et administrateur de l’Hôtel-Dieu de Nantes, touché par le sort réservé aux orphelins, qui décide en 1772 de léguer une somme de 200 000 livres aux enfants de police de la ville (testament en date du 12 juin 1772).

          Avec cette donation l’Hôtel-Dieu et le Sanitat ont fondé une maison pour les orphelins de la ville, ce qui permet de décharger l’Hôtel-Dieu des enfants de police au-dessous de dix ans et le Sanitat de ceux ayant atteint cet âge. Mais la plupart des donations faites à l’hôpital sont grevées de charges : le plus souvent il est contraint de faire célébrer des messes pour le repos de l’âme de son bienfaiteur. Dans certains cas, la donation est affectée : l’argent devra servir à l’entretien de tel neveu ou filleul du donateur. Le cadeau peut ainsi se révéler empoisonné et occasionner plus de charges à la Maison que de bénéfices.

          Le recours à la charité privée se fait aussi par les quêtes et les troncs placés dans les églises et les hôtelleries de la ville. Cette forme de mendicité, en principe interdite par la législation royale, doit être expressément autorisée par les autorités municipales.

          Les quêtes en ville sont pour l’Hôpital général le moyen le plus fréquemment employé pour obtenir des secours de la population. Certains pauvres, choisis par les directeurs de la Maison sont envoyés par les rues ou aux différentes portes de la ville, munis de boîtes frappées aux armes de l’Hôpital, pour mendier le secours du public.

          Cet expédient est toujours le premier utilisé lorsque les finances de l’établissement accusent des faiblesses trop importantes. Cette forme d’appel à la charité peut aller, pour exciter la pitié de la population, jusqu’à la procession dans les rues de la ville, sous la conduite des membres du Bureau du Sanitat, de tous les pauvres renfermés.

          Si la population montre trop de réticences à donner aux pauvres de la ville, les administrateurs du Sanitat peuvent alors faire appel au Parlement de Bretagne qui, quelquefois, accorde la levée d’une taxe forcée sur ceux qui ne contribuent pas à la hauteur de leur moyens ou, lorsque la situation l’exige, sur l’ensemble de la population.

          Le dernier canal par lequel la charité privée parvient aux hôpitaux est la confrérie, association pieuse dont les membres pratiquent l’assistance mutuelle, mais aussi la charité en faveur des pauvres. Il existe à Nantes, dès le Moyen-âge, un grand nombre de confréries dont les aumônes sont destinées aux hôpitaux.

          Le rôle des confréries s’avère essentiel dans les périodes d’épidémie ou de famine, les subventions qu’elles sont alors amenées à verser aux établissements leur permettent de faire face à l’urgence.

          Le Sanitat, pour sa part, bénéficie – dès 1643, soit sept ans avant sa fondation comme dépôt de mendicité – de la bienfaisance particulière de deux confréries.

          La première, fondée en 1643 par les habitants de la Fosse, et dédiée Saint Roch et Saint Sébastien, s’établit dans la chapelle même du Sanitat. Le but de cette confrérie est de protéger – par la prière – la ville de la peste.

          La seconde, mais plus importante des deux, est la Confrérie de la Charité.

          Cette confrérie fut créée peu de temps après la fondation du Sanitat en tant que dépôt de mendicité, en 1657. Léon Maître relate les circonstances de cette création en ces termes :

          Aux premiers élans de générosité qui se manifestèrent autour d’eux, les promoteurs de l’œuvre [le Sanitat] purent fonder de longues espérances sur le zèle de leurs souscripteurs, mais ils s’aperçurent bientôt que la charité est un feu dont l’ardeur s’éteint bien vite quand il n’est pas réveillé par un stimulant quelconque. […] On convoqua une assemblée […] afin d’examiner quels seraient les moyens à employer pour se procurer des ressources fixes. C’est dans cette réunion que fut prise la résolution de créer une confrérie. […] La constitution proposée fut accueillie partout par une approbation unanime. Comme les affiliés de l’association n’étaient tenus qu’à une cotisation annuelle de 12 livres, un grand nombre d’habitants envoyèrent leur souscription avec empressement pour profiter des bienfaits spirituels que promettait l’abondance des prières mises en commun. Les personnes les plus distinguées tintent à honneur de figurer en tête des registres de la confrérie. Le duc de la Meilleraie, […] se fit inscrire pour une somme annuelle de 2 000 livres et se vit de suite porté par les suffrages de ses confrères au nombre des trois prévôts avec le doyen de la cathédrale et le maire de Nantes.

          Le but de cette confrérie est clair : il s’agit d’assurer à l’Hôpital général des ressources fixes. Cette mission sera dans un premier temps parfaitement remplie ; en 1698, la Confrérie de la Charité est la troisième source de revenus du Sanitat avec 2 518 livres soit environ 15 % de son budget global.

          Après une période de sommeil à partir du milieu du XVIIIe siècle, la Confrérie de la Charité sera ranimée en 1774, et elle poursuivra ses œuvres avec zèle jusqu’en 1790.

          Une dernière source de revenus pour le Sanitat est représentée par les secours qu’il peut obtenir des différentes autorités publiques. Les différentes autorités locales, provinciales ou même royales, peuvent intervenir auprès de l’Hôpital général de nombreuses manières.

          En premier lieu par l’octroi de subventions régulières ou exceptionnelles.

          " De multiples subventions, puisées aux sources les plus diverses (budget de l’État, budget des états provinciaux, don gratuit, droits réservés, caisse des hôpitaux, etc.), sont versées aux établissements hospitaliers sans aucune régularité et souvent selon des méthodes qui frôlent l’arbitraire ".

          Il semble en effet que les critères d’attribution de ces subsides soient la force de persuasion des administrateurs de l’hôpital ainsi que les appuis dont ils disposent.

          D’autre part, les établissements peuvent se faire exempter de certaines taxes, ce qui ne constitue pas à proprement parler un revenu, mais qui dans certaines circonstances peut éviter à l’institution une dépense conséquente.

          De la même façon qu’ils sont exemptés de taxes, les hôpitaux peuvent aussi se voir attribuer le revenu de certaines taxes locales ; par exemple, le droit de cuve et de pont, perçu à Nantes sur les navires qui débarquent leur cargaison sur la cale de la poterne du château de Nantes. Ceux-ci doivent impérativement utiliser – pour décharger leurs marchandises – les planches fournies par l’Hôtel-Dieu, puis pour les vendre, ils doivent encore utiliser les mesures de cet hôpital. De la même manière lorsqu’une troupe théâtrale se produit dans la ville, elle doit payer une taxe aux hôpitaux.

          De plus, dès 1526, l’Hôpital de Nantes reçoit la totalité des amendes de police prononcées dans la ville ; cette mesure a été approuvée par Charles IX par lettres du 7 janvier 1569, confirmées par Henri III le 4 juillet 1577.

          Avec la création du Sanitat en tant que dépôt de mendicité, les amendes de polices sont partagées à égalité entre l’Hôtel-Dieu et le " nouvel " établissement.

          Enfin, l’hôpital dispose généralement de certains privilèges ou monopoles qui lui assurent un revenu qui peut – en fonction du privilège – être très confortable.

          Comme le signale à juste titre Jean Imbert : " aux multiples taxes anciennes, la royauté va ajouter quelques ressources nouvelles, toujours attribuées au coup par coup. Pas plus qu’auparavant, sauf rares exceptions, aucune mesure générale ne concerne l’ensemble des établissements du royaume, ni même d’une ville ". Il en résulte que pour bénéficier de ces privilèges, l’établissement doit disposer d’un titre, d’une concession, qu’il doit être en mesure de présenter afin de prouver son droit.

          Les privilèges et monopoles dont dispose l’Hôpital général de Nantes procèdent dans la plupart des cas de la même nature que le partage des amendes de police entre les deux hôpitaux nantais : dans un premier temps le privilège appartient au seul hôpital de la ville, l’Hôtel-Dieu, puis avec la création du Sanitat, l’usage se prend d’en partager les bénéfices.

          Parmi les nombreux privilèges dont les hôpitaux se prétendent titulaires, l’un des plus significatif est celui lié à la vente de viande pendant le carême.

          Autrefois, le carême était strictement observé, la consommation de viande pendant cette période était exceptionnellement autorisée aux malades, aux vieillards et aux enfants.

          Le commerce de la boucherie devenait ainsi quasiment nul pendant les six semaines que durait le carême, et les bouchers fermaient pour la plupart leur étal, sauf celui qui assurait une forme de permanence pour les clients qui disposaient d’une dispense du Recteur ou d’un médecin.

          La vente de viande pendant le carême ne donnait d’ordinaire pas lieu à concurrence entre les bouchers de la ville. Or en 1639, malgré la défense qui leur en avait été faite, plusieurs bouchers vendirent de la viande durant le carême, conduisant le Bureau de la ville à prendre un arrêté fixant strictement les conditions de vente de viande pendant le carême ainsi que le nom du boucher autorisé à en pratiquer le commerce.

          La date exacte de l’octroi du privilège à l’Hôpital général de Nantes ne nous est pas connue, il semble que l’Hôtel-Dieu ait d’abord seul bénéficié d’une gratification de la part du boucher de carême, avant de procéder lui-même à l’adjudication de ce droit.

          Léon Maître semble considérer que l’Hôpital général a bénéficié d’un partage du privilège à partir de 1673, ce que n’infirme pas Édouard Pied, toutefois ni l’un ni l’autre ne citent de source probante sur ce point.

          Les revenus apportés par ce privilège évoluent beaucoup entre le XVIIe et le XVIIIe siècles : en 1661, la gratification versée à l’hôpital s’élève à cent livres ; en 1667, elle est de 490 livres et de 560 livres l’année suivante. En 1673, elle s’élève enfin à 618 livres.

          Au début du XVIIIe siècle, le revenu devient attractif puisqu’il se porte à 2 510 livres en 1716, et à 5 050 livres en 1739. La fin du siècle voit les prix flamber : 8 000 livres en 1780, et 19 500 livres en 1785 !

          Le Sanitat disposait aussi de privilèges qui lui étaient propres, et qui lui assuraient un revenu substantiel, comme la charge de visiteur, lesteur et du délesteur des navires montant ou descendant la Loire, acquise par contrat de donation passé devant les notaires du Châtelet le 28 mars 1680.

          Le Sanitat afferma cette charge dès son acquisition et elle lui rapporta annuellement entre 1 000 et 2 500 livres. Malheureusement, en 1738, le titulaire de la charge mourut alors que le Sanitat n’était pas en mesure de lui présenter un successeur ; la charge revînt ainsi au Bureau des parties casuelles, et fut attribuée – en 1740 – à un bourgeois parisien. Malgré toutes les suppliques adressées au contrôleur général et toutes les protections dont il bénéficia dans cette affaire, l’Hôpital général ne put faire en sorte de rentrer dans son privilège. La charge a été perdue et en même temps, c’est un revenu important qui disparaissait.

          Nous ne pouvons passer ici en revue tous les revenus dont disposait le Sanitat, nous nous sommes contentés d’évoquer les plus importants financièrement ou historiquement. Nous aurons de plus l’occasion de traiter plus précisément des revenus en relation directe avec le travail des pensionnaires ou qui ont une influence sur les relations du Sanitat avec les corporations de métiers à la fin de cette section.

           

        3. L’impossible équilibre des comptes.
        4. Les revenus du Sanitat sont nombreux et diversifiés, mais ils sont pour la plus grande partie modestes, et en définitive, " dès qu’on y prête un moment d’attention, on constate qu’en somme les profits étaient trop légers pour constituer une situation prospère à des établissements importants ".

          L’Hôpital général de Nantes est de ce fait à la merci des changements de conjoncture économique : il suffit d’une épidémie, d’une année de mauvaises récoltes, pour que l’équilibre difficilement atteint vacille et que la situation financière de l’établissement devienne catastrophique.

          L’exemple des années 1725-1735 est, à cet égard, significatif. Suite à la déclaration du 18 juillet 1724, le nombre des pauvres renfermés est allé croissant, ce que prévoyaient les autorités, mais la diminution du nombre des renfermés prévue pour le début de l’année 1725 n’a pas eu lieu, si bien que l’Hôpital général de Nantes a subi – dès 1724 – l’affluence de très nombreux pauvres.

          De plus, la situation économique de ces années, et particulièrement la cherté du pain a contribué à la dégradation des finances de l’établissement.

          Dans un mémoire en faveur de l’Hôpital général de Nantes, vraisemblablement rédigé en 1738 ou 1739 par le Bureau du Sanitat, à l’attention du Marquis de Brancas, dans le but d’obtenir sa protection, il est exposé que le nombre des pauvres renfermés est rapidement passé de 320 en 1724 – avant la Déclaration du 18 juillet – à 470, puis à 640 au 1er décembre 1734 : " L’hopital general de Nantes fut un de ceux particulierement destiné a ce renfermement, et le nombre des mendians qui y furent renfermés en consequence, et qui ont depuis demeuré dans cette maison, en augmenta la depense de plus d’un tiers, elle estoit auparavant composée d’environ 320 pauvres de toutes especes, et peu de tems après de 470 a la subsistance desquels les administrateurs furent fort embarrassés de fournir jusqu’au commencement de l’année 1730. […] Depuis le mois de may 1734, et la misere ayant neantmoins continué d’augmenter, le nombre des pauvres s’est accru j’usqu’a 640 personnes de tous sexes et tous ages… ".

          En 1740, la situation financière du Sanitat était telle, qu’à l’occasion de la perte de la charge de visiteur, lesteur et délesteur, les administrateurs des pauvres écrivirent une supplique au Contrôleur général :

          Monseigneur,

          Au nom de plus de 600 pauvres renfermés dans l’Hôpital general de cette ville, que leurs administrateurs ne peuvent plus faire subsister, et qui sont à la veille d’être abandonnés sans secours à leur propre misère, faute de revenus à pouvoir leur donner du pain, nous implorons votre miséricorde au sujet de leur office de lesteur et délesteur qui vient d’être levé au parties casuelles. Nous n’aurions pas manqué de nous y présenter pour le retirer si les pauvres en avaient eu le moyen, mais ne sçachans depuis plusieurs années ou prendre les fonds pour leur nourriture, comment pouvions nous en avoir pour la levée de cet office. Et nous n’avons pas osé nous présenter les mains vuides.

          Les administrateurs invoquent ici la misère de leur institution, mais reconnaissent implicitement que la perte de cet office est aussi due à leur négligence : " Nous sentons parfaitement, Monseigneur, la faute qu’on peut imputer à notre administration de ne s’estre pas mise en règle pour l’office de délesteur lors du décès du dernier titulaire ; mais nous ne le pouvions pas faire sans argent, et la nourriture des pauvres était l’objet le plus pressant, persuadés, d’ailleurs, que personne ne songerait à les dépouiller ".

          Dans ces années, la situation financière du Sanitat conduit la Maison dans une spirale qui l’oblige à recourir aux derniers expédients : outre les demandes réitérées de subventions auprès de l’Intendant, les directeurs du Sanitat distribuent des boîtes aux pensionnaires, et les envoient mendier à travers les rues de la ville.

          Léon Maître relate ces années de pénurie en ces termes : " En 1735, la détresse fut telle au Sanitat que les gouverneurs n’auraient pu nourrir les pauvres s’ils n’avaient employé les capitaux des rentes viagères et puisé des avances dans leur propre bourse. En 1740, la situation était si peu rassurante, que le bureau prit le parti de consulter les corps constitués de la ville, pour avoir leur avis sur les meilleurs moyens de créer des ressources ".

          Un dernier aspect de la fragilité des revenus du Sanitat doit encore être évoqué ; c’est la difficulté avec laquelle l’Hôpital général parvient à faire reconnaître ses privilèges et à recouvrer ses créances.

          " De tous les produits éventuels, je n’en pourrais pas citer un dont le recouvrement fût facile. Tous donnaient lieu à de nombreuses contestations qui ne se résolvaient jamais sans de longs débats avec procédures, productions de pièces, démarches, sollicitations et mémoires, qui exigeaient des soins incessants de la part des directeurs ".

          Cette situation n’est pas propre à Nantes, mais se retrouve dans tout le royaume ; elle participe de l’esprit de chicane des hommes de l’Ancien Régime, qui ne laissent pas filer la moindre source de profit sans en engager dix fois la valeur dans des procédures interminables dans lesquelles aucune des parties n’a jamais gain de cause.

          Le règlement de la direction du Sanitat du 31 décembre 1650 prévoit expressément qu’un des directeurs, prenant le titre d’avocat de l’aumône, sera exclusivement chargé " de solliciter le paiement des sommes données et adjugées aux pauvres et maison de la charité, soit par arrest, sentence, testament ou autrement, de requérir les juges à qui la connoissance en appartient… ". Il n’était pas difficile de trouver un directeur compétent pour cette tâche puisque le Bureau comprenait obligatoirement un membre du Présidial et le plus souvent plusieurs hommes de loi.

           

        5. Les revenus casuels du Sanitat liés au travail des pensionnaires.

      La difficulté qu’éprouve le Sanitat pour faire respecter ses privilèges explique l’âpreté avec laquelle il les défend et cherche à les étendre au plus possible. Pour les directeurs de l’Hôpital qui connaissent des périodes répétées de déficit financier, tout revenu mérite d’être considéré, aussi ce que peuvent engranger les pensionnaires par leur travail n’est-il pas négligeable.

      Parmi les revenus liés au travail des pensionnaires de l’Hôpital général, figurent les baux passés entre la Direction de l’établissement et un certain nombre d’artisans. Ces baux ont pour objet la location par des artisans de locaux situés dans l’enceinte du Sanitat ; il s’agit généralement de logements composés de deux ou trois chambres, l’une au rez-de-chaussée faisant office d’atelier et de boutique, l’autre à l’étage, servant de chambre à coucher pour l’artisan et sa famille ; et lorsque c’est le cas, la dernière sert à loger les ouvriers de l’artisan. Ces appartements sont situés dans les cours de l’Hôpital, cours " extérieure " ou " intérieure ", suivant les contrats.

      La présence d’artisans exerçant leur activité à l’intérieur du Sanitat est attestée dès l’origine de l’institution : la première trace d’un bail de ce type remonte à 1652 : par un contrat passé avec un bonnetier nommé Grenier, les Directeurs des pauvres lui accordent le logement pendant cinq ans dans l’enceinte du Sanitat, en contrepartie de la prise en apprentissage de garçons ou filles de l’établissement.

      Le 27 septembre 1653, Fremin Symon, chapelier natif d’Amiens, offre – en contrepartie du logement – d’entrer au Sanitat afin d’y travailler de son métier et de l’enseigner aux enfants de la maison. L’offre est rejetée par le Bureau, sans explication.

      Ces cas ne sont pas isolés, tous les mois les Directeurs des pauvres reçoivent – et acceptent – des demandes d’artisans qui souhaitent s’installer au Sanitat en contrepartie de la prise en apprentissage de jeunes pensionnaires.

      Les professions représentées dans le Sanitat au XVIIe siècle ne se limitent pas, comme semble le dire Léon Maître, aux métiers du textile – futainiers, sargers, tissiers en toile, bonnetiers, et droguetiers – mais comprennent aussi des artisans travaillant le cuir comme des cordonniers et des corroyeurs , ou d’autres matériaux (tonneliers et menuisiers).

      La location de ces locaux présente de multiples avantages financiers pour le Sanitat : outre la possibilité de mettre en apprentissage des enfants de la maison chez la plupart de ces locataires, beaucoup paient un loyer ou apportent une partie de leur travail à la Maison. D’autres sont admis sous certaines charges d’entretien des locaux qu’ils louent, soulageant ainsi le Sanitat des charges d’entretien des bâtiments.

      Le 9 juin 1683, Thomas Bedoüé, meunier, prend à bail pour cinq ans le moulin a vent sis dans l’enceinte du Sanitat, ainsi que le logement du meunier situé dans la même cour. En contrepartie, il s’engage à " en jouir en bon père de famille ", à " entretenir le moulin et le logement des menues réparations ", et à travailler de son métier de meunier pour la nourriture des pauvres " préférablement à tous autres ". Le loyer du moulin, versé en nature chaque trimestre, est constitué annuellement de 25 setiers de seigle, soit environ 450 boisseaux de farine.

      Mais le Sanitat ne loue pas uniquement ses locaux à des artisans ; il dispose aussi d’entrepôts et de maisons proches de la Loire qu’il loue très cher à des négociants.

      La présence d’artisans non titulaires de la maîtrise au sein de l’hôpital général est très mal vécue par les corporations de la ville qui y voient une atteinte intolérable à leurs privilèges. Elles n’auront de cesse pendant le XVIIe et le XVIIIe siècles de faire interdire ou tout au moins limiter le travail de ces artisans qu’ils considèrent comme des concurrents déloyaux.

      Outre la possibilité d’entretenir des ouvriers dans l’enceinte de la Maison qui est attestée par les édits royaux de 1656 et 1662 concernant l’enfermement des pauvres dans les hôpitaux généraux, le Sanitat bénéficie de privilèges dont la particularité est d’être liés aux pompes funèbres.

      Il ne s’agit pas d’un cas isolé, puisque Jean Imbert, indique – non sans étonnement – que " l’imagination des municipalités est encore plus inventive que celle du législateur : témoin ce privilège macabre accordé à l’hôpital de Niort qui seul peut fabriquer ou faire fabriquer les cercueils nécessaires à la population de la ville (délibération de la municipalité du 24 décembre 1683, ratifiée par une ordonnance de l’intendant Lamoignon de Basville le 24 janvier suivant) ".

      En Bretagne, Alain Croix note qu’au XVIIe siècle " l’essentiel du financement propre [des hôpitaux Bretons] est recherché dans la fourniture de toutes les nécessités de la mort ". Il ajoute que cette pratique date du XVIe siècle : le gardien de l’hôpital de Rennes vend des châsses dès 1581, et la ville envisage d’en confier le monopole à l’hôpital en 1597. A Saint-Malo, l’Hôpital dispose du monopole de fourniture de tous les accessoires et personnels nécessaires aux enterrements à partir de 1628. En 1650, les revenus de ce privilège représentent près du quart du total, et le huitième en 1666-1668.

      A Nantes, Léon Maître fait remonter le droit exclusif du Sanitat de fournir les pleureurs, les tendeurs et les porteurs pour les funérailles à un arrêté de la mairie du 28 mai 1651, soit un an après sa fondation.

      Une sentence du présidial de Nantes du 1er décembre 1660 confirme ce privilège et fait " deffances à toutz les deffandeurs [vraisemblablement les maîtres cergiers] d’employer aux enterremants & services quy se feront en ceste ville & fauxbourgs autres personnes que ceux du Sanitat soit pour convier, porter les corps, les descendre, porter les torches… ".

      Cette sentence est encore confirmée par une autre de la même juridiction, du 20 mai 1677, qui vise les membres des confréries qui ne respectent pas le monopole de l’Hôpital général et portent eux-mêmes les corps de leurs confrères lors des enterrements.

      Le privilège funéraire de l’Hôpital général s’étend aussi à la fabrication des châsses. Ce monopole, qui attribue au Sanitat le droit exclusif de fabriquer ou de faire fabriquer les cercueils pour tous les enterrements de la ville et des faubourgs de Nantes semble dater d’une sentence du Sénéchal de Nantes du 9 août 1659, confirmée par un arrêt du Parlement de Rennes du 29 octobre 1660, signifié aux corps d’arts et métiers le 23 novembre 1660. Ce privilège sera, pour le Sanitat, un des plus difficiles à faire respecter, puisque dès 1659, il se heurte à l’opposition farouche de la corporation des menuisiers.

      La sentence du Présidial de Nantes du 1er décembre 1660 vient très tôt confirmer le Sanitat dans son privilège en matière de pompe funèbre, que ce soit pour la fabrication des châsses, la fourniture de personnel ou d’ornements funéraires.

      Les sentences du Présidial de Nantes ou du Parlement de Bretagne qui rappellent ce monopole sont très nombreuses ; Léon Maître en cite un certain nombre et dès le 10 novembre 1661, un arrêt condamne la corporation des menuisiers de Nantes.

      Les maîtres menuisiers n’accepteront jamais ce privilège du Sanitat et refuseront toujours d’en reconnaître la légitimité ; en 1757, lors d’une très longue procédure contre le menuisier du Sanitat, Maurice Langlois, ils produiront un mémoire auprès du Parlement de Rennes qui traite l’Hôpital général et son privilège en ces termes :

      Le Sanitat est-il fondé en titre pour s’attribuer le privilège qu’il réclame ? Il s’en faut beaucoup ; il n’a pas même de Lettres Patentes ; & quand il en auroit, il seroit encore nécessaire, pour qu’il pût jouir de privilèges, qu’ils lui fussent expressément concédés.

      Le projet [de Lettres patentes] que le Sanitat a produit, est une paperace qu’il faut rejetter. On y a mis tout ce qu’on a voulu, sans y apeller les Communautés d’Arts & Métiers. C’est même un titre d’exclusion contre l’Hopital de Nantes ; car depuis trente ans qu’on sollicite l’expédition de Lettres Patentes, le Conseil n’a jamais voulu donner son autorité au modèle qu’on a présenté, sans doute pour ne pas donner atteinte aux Statuts & Privilèges des Communautés.

      Il semble bien que dans la première moitié du XVIIIe siècle le Sanitat ait eu des difficultés à faire la preuve de ses privilèges : ne pouvant véritablement se fonder sur des Lettres patentes royales, les administrateurs en sont réduit à comparer leur établissement aux hôpitaux généraux de Rennes ou d’autres villes du royaume, afin d’en demander les mêmes privilèges.

      Le Parlement de Bretagne, systématiquement bienveillant vis-à-vis du Sanitat, le sommera néanmoins de présenter les titres allégués dans un arrêt du 9 mars 1723, qui précise : " La Cour [...] a ordonné que les Lettres d’établissement du Sanitat ou Hôpital General de Nantes, seront incessamment répresentés par les Directeurs, pour sur la vûë d’icelles, être ordonné ce qui sera vû apartenir ". Seulement ces lettres n’existent pas, et cet arrêt marque le début – pour les administrateurs du Sanitat – d’une course pour l’obtention de Lettres patentes en bonne et due forme.

      Ces Lettres ne seront finalement obtenues qu’en février 1760, soit trente-sept ans plus tard ! Elles confirmeront le Sanitat dans son privilège, mais il s’en est fallut de peu que le Parlement de Rennes perde patience et rende un arrêt défavorable à l’Hôpital.

      Un dernier aspect du privilège funèbre du Sanitat est la fourniture exclusive par l’Hôpital de tous les accessoires nécessaires à la pompe de l’enterrement. Ces accessoires se matérialisent au XVIIe siècle par des armoiries et des têtes de mort portées en tête du convoi funèbre. Leur fabrication est de la compétence de la corporation des peintres-vitriers ; néanmoins, ce monopole du Sanitat n’a pas donné lieu à la même opposition que la fabrication des châsses, peut-être à cause du mode d’exploitation choisi par les Directeurs de l’Hôpital général. En effet, les cercueils sont fabriqués par les menuisiers résidants du Sanitat, donc en-dehors du système corporatif, d’où l’ire du corps des menuisiers de Nantes ; en revanche, le monopole de fabrication des têtes de mort et armoiries est affermé à des membres de la corporation des peintres-vitriers, ce qui ne dépossède pas totalement le corps de la possibilité de fabriquer ces produits.

      Le 21 décembre 1671, le Bureau du Sanitat afferme pour neuf ans, à Joseph Lebert, maître peintre et vitrier, la fourniture des têtes de mort pour les enterrements. Le tarif de celles-ci est fixé à sept livres dix sols par centaine, sur lesquels Lebert doit rendre soixante sols au Sanitat.

      Le 22 mars 1672, Lebert est contraint de dénoncer ce contrat, victime de la concurrence que lui font les autres maîtres du corps des peintres-vitriers. Quatre d’entre eux, Sébastien Royer¸ Noël Loyret, Hervé Chevalier et Sébastien Rolland, ont en effet proposé au Sanitat de reprendre le marché à des conditions plus avantageuses pour les pauvres : sur les sept livres dix sols par centaine, il offrent de verser non plus trois livres au Sanitat, mais quatre. Soutenus par le maire et les échevins qui considèrent cette proposition profitable aux pauvres de la ville, les directeurs de l’Hôpital général parviennent à faire renoncer Lebert à l’exclusivité de son privilège.

      Les quatre maîtres qui prennent ensemble la ferme des têtes de mort lui proposent néanmoins de s’associer avec eux, selon les nouvelles conditions du marché, ce qu’il refuse.

      Il faut croire que cette association n’a pas été aussi bénéfique pour les pauvres puisque le 31 juillet 1683, le Sanitat concède le privilège exclusif de fournir les têtes de mort à Noël Loyret aux mêmes conditions que celles prévues par le premier accord passé avec Lebert en décembre 1671.

      Une dernière forme de revenus directement liés au travail des pensionnaires du Sanitat est la manufacture.

      Les Directeurs de l’établissement ont tenté très tôt de développer ce type d’activité dont l’intérêt essentiel est d’occuper un grand nombre de pensionnaires. Léon Maître fait remonter le premier atelier de bonneterie de l’Hôpital général au 17 janvier 1680 ; néanmoins, comme il semble le préciser lui-même, les Directeurs ont préparé dès les années 1670 l’installation de manufactures dans l’établissement, notamment par l’entrée dans la Maison d’artisans chargés de former des apprentis.

      Les premiers contrats de location de locaux situés dans les cours du Sanitat prévoient en contrepartie la mise en apprentissage des enfants de l’établissement chez les artisans locataires. Ainsi, le 22 janvier 1664, Julien Ousdit, s’engage-t-il à " aprendre son mestierde bonnestier a son possible les enffans qui sont a present et pouront estre en laditte direction pendant le tems dudict bail, […] lesquels enfans aprantiffs seront nouris et entretenus aux frais de lad. direction ".

      Les contrats passés ensuite avec d’autres bonnetiers (24 juillet 1666, 18 février 1667), tessiers (21 novembre 1667, 9 décembre 1671), fustainiers (30 novembre 1667), ouvriers en soie (25 août 1668), contiennent tous cette obligation en contrepartie du logement et de la boutique.

      Un bail du 30 mai 1676, passé avec Louys Preny, maître tissier, atteste clairement de l’existence d’ateliers au sein du Sanitat, puisque l’objet du contrat comprend " les logementz et jardin dont il jouis presentement dans ladite closture [du Sanitat] ensemble les mestiers cardes et autres ustancilles a la manufacture de fustainerie apartenant a ladite direction dont il se sert aussi presentement ".

      De la même manière, en 1687, Augustin Faviot, " tissier en toilles ", loue-t-il " une moitié de la salle ou ouvroir du bâtiment neuf des garçons, avec deux chambres en la cour des hommes et les greniers au dessus, avec l’usage de six mestiers placés en ladite salle, deux à toilles et quatre à fustaigne, vingt grands rouetz " ; en contre partie, il s’engage notamment à prendre " des enfans de ladite closture en tel nombre que MM. les directeurs jugerons à propos, pour leur aprandre le mestier de tisserand à son possible ".

      En 1690, le registre des comptes des manufactures du Sanitat montre le fonctionnement de plusieurs ateliers : fabrique de tapisserie, depuis le 8 avril 1680 ; boutique de dentelles, depuis le 19 janvier 1680 ; de dentelles d’Angleterre, depuis le 23 juin 1684 ; manufacture de bas et bonneterie, depuis le 17 janvier 1680.

      Le critère d’occupation des résidants n’est pas le seul retenu par la Direction de l’Hôpital général, encore faut-il que ces activités soient financièrement profitables à la Maison.

      Une délibération du Bureau de l’Hôpital, du 2 mars 1781, confie à six administrateurs de la Maison le soin d’examiner si la " baterie " établie dans le Sanitat est utile ou nuisible aux pauvres ; le rapport, rendu le 30 mars, conclut à la fermeture de la manufacture, qui sera effectivement liquidée le 7 avril 1781.

      Les conclusions des administrateurs montrent que " d’après le calcul des frais extraordinaires, qui ont été portés au plus bas taux, il est sensible que le déficit de la Recette à la Dépense est de 223 livres et 4 sols et conséquemment une perte annuelle pour la maison de la dite somme. Cette seule considération peut mettre le Bureau dans le cas de prendre une détermination sur cet établissement ".

      Ce seul déficit ne suffit cependant pas aux commissaires du Bureau qui relèvent également de graves dysfonctionnements dans la manufacture : trop grande indépendance du maître de la " baterie ", indiscipline des enfants qui y travaillent, nombreux désordres qu’ils causent, promiscuité entre les garçons et les filles, vols et détournements que font les gens de la " baterie " dans la Maison.

      En conclusion de leur rapport, ils proposent la fermeture de la " baterie " : " Si par toutes ces considérations le Bureau se décidoit à détruire la Bâterie, on observe qu’on a eu cy-devant un Bâtier pour locataire dans la Cour des Artisans, et qui instruisoit de son métier les enfants de la maison, comme le font les autres ouvriers locataires, ce qui procureroit le même bien que la Bâterie, sans aucun des inconvéniens qu’on a remarqués cy-dessus ".

      Les administrateurs de l’Hôpital restent à l’affût de toutes les opportunités de développement qui peuvent se présenter, mais leur gestion se doit d’être prudente, et ils ne peuvent envisager d’investissements rentables à long terme ; les activités développées doivent ainsi être les moins coûteuses possible, et en plus atteindre un équilibre financier rapide, au risque d’endetter trop lourdement la Maison.

      D’autres manufactures seront mises en place dans l’Hôpital, en particulier une manufacture de cotonnades qui mettra les Directeurs des pauvres face à leurs propres contradictions, et qui éprouvera les limites de ce système de gestion essentiellement constitué d’expédients à court terme. L’histoire de cette manufacture, rapidement abandonnée par l’Hôpital général, mais immédiatement reprise par un certain nombre de ses administrateurs qui vont en faire un des principaux établissements de la ville, fera l’objet d’une section distincte.

    3. L’organisation du travail.
    4. Après avoir envisagé les raisons qui rendent le travail des pensionnaires des hôpitaux généraux nécessaires, nous nous intéresserons à l’organisation et à la répartition du travail entre les résidants du Sanitat. Le principal critère d’attribution est la capacité, chacun devant trouver un emploi conforme à ses aptitudes ; mais cet impératif doit aussi se concilier avec le bon fonctionnement et l’intérêt de la Maison.

       

      1. La distribution des rôles.
      2.  

        1. Le travail dans les ateliers de la Maison.
        2. Avant d’étudier la répartition des tâches entre les pensionnaires de l’Hôpital général, il convient de s’intéresser à leur encadrement pendant leur activité.

          La plus haute autorité dans le Sanitat est sans conteste le Bureau des Directeurs des pauvres ; au sein de ce Bureau, deux commissaires sont spécifiquement chargés de l’organisation et de la surveillance du travail dans la Maison : ce sont le commissaire de semaine, qui assure la direction effective de l’établissement, et le commissaire des manufactures, qui a la charge des ateliers de l’Hôpital.

          L’un et l’autre disposent du même pouvoir de direction vis-à-vis de ceux qui travaillent dans l’enceinte du Sanitat, mais le commissaire des manufactures est plus spécifiquement chargé de superviser le travail. Il passe les marchés pour l’achat des matières premières, les répartit dans les différents ateliers ; il recueille les marchandises une fois transformées, les distribue soit au commissaire des vêtements des pauvres, soit vers une personne chargée de leur vente ; il reçoit les comptes des maîtres des manufactures, et exerce une surveillance générale sur le fonctionnement des ateliers de la Maison, qu’ils soient tenus pour le compte du Bureau ou qu’il s’agisse de la boutique d’un artisan.

          Ces prérogatives sont partagées avec la Supérieure, dont les compétences se limitent naturellement aux enfants et aux filles de la Maison. Le Règlement de Mlle la supérieure note parmi ses devoirs : " Elle aura soin à faire que les enfants s’occupent chacun dans son emploi et aussi à ce que les maîtres et les maîtresses ne les surchargent de travail et ne les traitent pas avec trop de rigueur. […] Elle aura soin de faire travailler les filles qui ont quatorze ans et de les occuper au moins deux fois la semaine dans quelque travail fort et fatiguant afin qu’elles puissent s’accoutumer à des emplois pénibles dans les lieux ou les conditions où elles pourront estre ".

          L’un et l’autre assurent donc en commun la direction du travail dans la Maison ; ils se font obéir de tous, maîtres et résidants, et peuvent – en cas de désordre ou de faute grave d’un pensionnaire – sanctionner le contrevenant.

          La supérieure peut faire punir celles qui – sous sa surveillance – désobéissent au règlement de la Maison, " … pour les faire châtier, ce qu’elle ne pourra faire faire que par une femme de la maison et sy une des dites pénitentes méritait quelque châtiment extraordinaire qui ne peut être fait par des femmes, elle en donnera avis au bureau ".

          Les Directeurs des pauvres disposent pour leur part d’un très large pouvoir de correction ; l’article XIII des Lettres patentes de l’Hôpital général de Nantes de février 1760 prévoit expressément ce pouvoir en ces termes : " Donnons et attribuons aux administrateurs tout pouvoir et autorité de direction, administration, connaissance, juridiction, police et ce par forme de correction et châtiment seulement sur les pauvres qui sont dans ledit hôpital. Permis à eux, à cet effet, d’avoir poteaux, carcans et prisons, sans néanmoins préjudicier aux droits et attributions de nos juges du présidial et de police de Nantes, en ce qui pourroit être de leur compétence ".

          La direction et la surveillance directes des pensionnaires est confiée aux maîtres des ateliers ou des manufactures.

          Les artisans locataires d’une boutique dans la Maison surveillent et dirigent le travail de leurs apprentis ou de leurs compagnons ; en cas de manquement à la discipline ils en informent le commissaire de semaine ou le commissaire des manufactures qui seuls peuvent sanctionner le contrevenant. Les maîtres ne disposent que d’un pouvoir de correction limité sur les pensionnaires ; il n’ont notamment pas le droit d’user sur eux de peines corporelles. Leur comportement en particulier vis-à-vis des enfants est strictement contrôlé par le Bureau.

          Le 11 octobre 1652, le Bureau nomme un commissaire " pour voir une appellée Claudine poissonnière pour scavoir pour quel sujet elle auroit retiré chez elle Janne Gaudin petite fille cy devant mise en apprentissage et service chez h. femme Janne Pinson demeurante entre les portes de Saint Nicolas et la faire rendre a sa maitresse suivant le marché du 8e jour de may 1652 ".

          La semaine suivante, le 18 octobre, le commissaire – qui a vu la poissonnière – rend son rapport au bureau qui décide : " Janne Gaudin cy devant mise en apprentissage par messieurs les Directeurs chez h. femme Janne Pinson femme d’un peigner demeurante entre les portes de Saint Nicolas sera establye en autre apprentissae et service sans avoir esgard a l’acte de marché faict cy devant avec ladite Pinson attendu les sevices et mauvais traittements dont elle a usé à l’endroit de ladite Janne Gaudin, ce qui a esté depuis executé ".

          Les maîtres des manufactures, à qui sont confiées par les Directeurs des pauvres la direction et la surveillance de l’atelier, sont aussi soumis au contrôle du Bureau. Léon Maître cite le cas de Henri Soyer, choisi – en 1715 – par les Directeurs pour exploiter la manufacture des cotonnades du Sanitat, qui " fut obligé de résilier son bail au bout de deux années, pour mettre fin aux reproches dont il était chaque jour accablé. On l’accusait sans cesse de maltraiter les enfants et de ne point surveiller ses ouvriers qui forçaient les portes de l’Hôpital à des heures indues ".

          La distribution des emplois au sein du Sanitat obéit à différents types de règles, notamment liées au statut de chacun des pensionnaires.

          Les enfants qui ont atteint l’âge requis sont mis en apprentissages auprès des artisans de la ville ou du Sanitat, les filles travaillent aux ouvrages propres à leur sexe, les hommes aux tâches les plus dures. Chacun, selon ses facultés, ses capacités, se voit attribuer un emploi ; ceux qui ne travaillent pas constituent des exceptions, ce sont notamment les fous furieux, inaptes à tout travail.

          Un règlement sans date précise les modalités du travail des femmes et des filles dans la Maison ; ce sont pour la plupart des emplois de brocheuses ou de fileuses.

          Ce texte consacre un paragraphe aux filles arrivant de l’Hôtel-Dieu qui montre de quelle manière se fait l’apprentissage d’un métier au sein du Sanitat :

          Les filles qui viendront de l’Hotel-Dieu, et qui seront reçues dans la maison comme pauvres seront employées a la brocherie, et ne pouront en être tirées pour les mèttre dans les ouvroirs, qu’après avoir resté l’espace d’une année a la brocherie, au moins ; & a cet effet tous les ans, le vendredi qui précedera le jour de la St Jean Baptiste, le Bureau nommera deux commissaires qui, après la demande faite aux filles reçues dans le courant de l’année sur l’état qu’elles voudroient embrasser, les distribueroient dans les différents ouvroirs, et laisseroient a la Brocherie celles qu’ils jugeroient n’etre pas capable, ou propres encore à passer dans les ouvroirs.

          Le partage du travail n’est donc pas arbitraire, il obéit à des règles précises, chaque pensionnaire doit effectuer un parcours au sein de l’institution qui le rendra à même d’acquérir un état et de subvenir à ses besoins.

          Le travail peut aussi être une sanction, il doit dans ce cas venir ôter le goût de l’oisiveté ou de la débauche à celui ou celle à qui il est prescrit. Il est néanmoins toujours conçu dans un but de rééducation, afin d’ôter aux pensionnaires le goût de ne rien faire, et surtout l’excuse de ne rien savoir faire.

          Une des fonctions du Sanitat est de donner à ses pensionnaires un métier afin qu’il soient en mesure de subvenir à leurs besoins lors de leur sortie de l’établissement.

          Un rapport d’un directeur de la Maison – René Montaudouin – au Bureau, du 6 septembre 1717, signale au propos de la manufacture de cotonnades : " qu’on a accoutumé les pauvres gens des fauxbourgs de cette ville a filer le cotton ce qu’ils font a present tres bien & d’une manière a en fournir abondamment la ditte manufacture dont il résulte un second bien pour la maison en ce que ces pauvres gens tirent du fillage du cotton des moyens aisés de subsister avec leurs familles, ce qui les empeschent de mettre leurs enfants en cette maison et d’y venir eux-mesmes. Cette occupation les garantissant de l’extreme pauvreté où ils pouvoient tomber ".

          Les manufactures, au fur et à mesure de leur développement, vont prendre une place grandissante dans le Sanitat, au point d’occuper la grande majorité des pensionnaires. Une requête, non datée, du Bureau du Sanitat au roi, qui demandent un arrêt du Conseil en faveur de l’Hôpital général afin de lui permettre de développer librement toute sorte de manufacture dans l’enceinte de l’établissement, insiste particulièrement sur l’importance qu’ont pris ces ateliers dans la Maison, sur les revenus nécessaires pour la survie de l’institution qu’ils produisent, sur leur rôle dans l’éducation des jeunes, et leur fonction d’occupation des pensionnaires en général.

          Lors de sa réunion du 2 juillet 1716, le Bureau des Directeurs " a arrêté que les trois quarts des enfants de la maison qui filent du coton fileront pour la manefacture… " ; une partie des administrateurs de l’Hôpital a compris l’intérêt que la Maison pouvait tirer d’une telle entreprise, ils ont alors tenté de la développer à son maximum.

           

        3. La mise en apprentissage.
        4. Le débouché principal pour ceux qui constituent une grande partie de la population du Sanitat – les enfants – est la mise en apprentissage.

          L’Hôpital général accueille les enfants orphelins de plus de dix ans, ceux qui n’ont pas atteint cet âge sont recueillis par l’Hôtel-Dieu qui se charge de les placer en nourrice ou de les entretenir jusqu’à ce qu’ils aient l’âge d’entrer au Sanitat.

          Les Lettres patentes de 1760 prévoient expressément la mise en apprentissage des enfants de l’Hôpital : " …pour y être lesdits enfants de l’un & l’autre sexe pareillement logés, vêtus, nourris & instruits dans l’exercice de la Religion Catholique, Apostolique & Romaine, & y apprendre quelques métiers, vaquer aux travaux et occupations dont ils seront jugés capables, au profit de la Maison, pour, en sortant, après leur apprentissage fini, être en état de travailler, & de vivre de leur profession. Pourront aussi lesdits Enfans être envoyés en mer, en qualité de Mousses, ou Garçons de Chambre, soit sur nos Vaisseaux, ou sur ceux de nos Sujets… ". Le choix offert est assez inéquitable, ceux qui partent en mer voient leurs perspectives se réduire considérablement.

          Les enfants mis en apprentissage par les " pères des pauvres " doivent être âgés d’au moins quatorze ou quinze ans et avoir fait leur première communion.

          Les enfants placés chez un maître – ou une maîtresse – sont indifféremment des garçons ou des filles, l’acquisition d’un métier n’est pas réservée aux hommes ; au contraire, le plus ancien contrat d’apprentissage retrouvé dans les archives du Sanitat concerne des femmes. Par ce marché du 27 mars 1651, deux commissaires de " MM. du Bureau des pauvres renfermés " confient quatre jeunes filles – Janne Huault, Janne Agaisse, Jullienne Gentil, et Anthoinette Chesneau – à Jan Lemire, maître bonnetier, et sa femme Renée Benesteau, pour une période de deux ans, à charge pour eux de " leur montrer, enseigner et apprendre a leur pouvoir a faire bonnetz et chausses de laine ".

          Un contrat déjà cité, passé par les administrateurs du Sanitat et le bonnetier Grenier le 6 septembre 1652, prévoit qu’en contrepartie du logement, ce dernier sera tenu de " recevoir jusques a huit garsons ou filles [… pour] leur montrer enseigner et apprandre a son pouvoir le mettier de bonnettier durant deux ans a chacun ". Le fait qu’un même maître reçoive à la fois des garçons et des filles est assez exceptionnel pour être signalé, le principe de la Maison étant la stricte séparation entre les sexes.

          La grande majorité des enfants du Sanitat a la chance d’être mise en apprentissage chez un maître ou une maîtresse. De cette capacité de l’Hôpital à placer ses jeunes et à leur faire acquérir un métier dépend toute l’efficacité du système qui repose sur la rééducation des pensionnaires en prévision de leur insertion dans la société. Les enfants laissés sans éducation ne quitteront jamais l’institution qui devient dès lors une prison à perpétuité pour pauvres incurables.

          Ceux qui accueillent les apprentis du Sanitat sont soit des artisans qui vivent dans le Sanitat, soit des maîtres des corporations de la ville.

          La mise en apprentissage hors du Sanitat semble avoir été pratiquée par les Directeurs des pauvres dès la création de l’institution puisque les premiers contrats rencontrés fournissent l’adresse du maître ou de la maîtresse hors de l’enceinte de la Maison.

          L’intérêt de faire sortir les enfants du Sanitat est multiple : d’une part, cela libère des lits et permet d’enseigner aux enfants des métiers qui ne sont pas représentés dans l’établissement. D’autre part, cela permet aux corps de métiers pénibles ou peu attractifs de trouver de la main-d’œuvre ainsi qu’une relève en la personne des apprentis fournis par le Sanitat.

          Lorsque les enfants du Sanitat sont mis en apprentissage hors de la Maison, ceux-ci la quittent pour aller vivre chez leur maître ; mais ils restent liés à l’Hôpital qui se comporte vis-à-vis d’eux comme un tuteur, ainsi le Bureau s’enquiert-il régulièrement de leur situation.

          Les demandes des maîtres de la ville affluent vers le Sanitat qui, à certaines époques, ne peut toutes les satisfaire.

          Ce système, très apprécié en temps de pénurie de main-d’œuvre, est fortement décrié par les corps de métier dans les périodes de crises ; certaines corporations allant jusqu’à réglementer sévèrement l’embauche des apprentis qui ne peuvent plus être fournis par les Directeurs des pauvres, mais dont le choix appartient désormais exclusivement au Bureau de la corporation.

          Les artisans locataires d’une boutique dans le Sanitat se sont pour la plupart engagés dans le bail à recevoir des apprentis de la Maison dans leur atelier, ils sont donc la destination naturelle des enfants lorsqu’il faut les placer chez un maître.

          Dès 1653, les demandes d’admission au Sanitat faites par des artisans mettent en avant leur souhait d’instruire les enfants de la Maison : le 27 septembre 1653, " Fremin Symon chapellier natif d’Amiens s’est presenté au Bureau et a faict offre d’entrer en la maison du Sanitat et y travailler de son mestier et y instruire les enfants sans aucun salaire ny subsistance que le logement ". De la même manière, le 10 janvier 1654 les Directeurs des pauvres notent dans leur registre : " Ce jour c’est presenté André Drouet cordonnier qui demende a entrer au Sanitat pour instruire les enfants et Monsieur de la Tour sera commissaire pour faire marché avec luy et luy establir ".

          Le choix des artisans installés dans l’Hôpital général ne doit pas, à ce titre, être anodin ; si un nombre relativement élevé de métiers est représenté dans les cours du Sanitat, il y a toujours – quelle que soit l’époque observée – une prédominance des métiers liés au textile. Ce secteur permet en effet de former indifféremment garçons et filles ; de plus il a l’avantage d’offrir une main-d’œuvre " captive " aux manufactures de la Maison.

          En conséquence, un grand nombre d’" enfants bleus " sont mis en apprentissage au sein même de la Maison ; leur parcours, de l’âge de dix ans jusqu’à leur sortie de l’Hôpital – à partir de dix-huit ans – s’effectue au sein des différents ouvroirs ou ateliers du Sanitat.

          Qu’ils soient placés en ville ou à l’intérieur du Sanitat, les apprentis font l’objet d’une surveillance constante de la part des administrateurs de la Maison. Le commissaire des manufactures doit notamment " aller à la charité une fois la semaine, pour le moins, pour visiter les ouvriers et prendre garde s’ils s’acquittent de leur devoir, s’ils ont soin d’apprendre les enfants qui leur ont esté donnés et si lesdits enfants leur obéissent et emploient bien le temps ; y donner l’ordre et correction nécessaire ".

          Le travail et l’assiduité des apprentis sont ainsi étroitement surveillés, mais aussi la manière dont ils sont traités par leur maître : si les Directeurs des pauvres apprennent qu’un enfant du Sanitat est maltraité, ils mettent immédiatement fin au contrat qui les lie avec l’artisan. S’il s’agit d’un maître en ville, celui-ci se voit retirer l’apprenti ; si par contre, il s’agit d’un ouvrier locataire de l’Hôpital, il peut être expulsé de la Maison.

          Lorsque les Directeurs des pauvres mettent un enfant en apprentissage auprès d’un maître hors du Sanitat, les conditions du contrat d’apprentissage sont les mêmes que pour n’importe quel particulier, il n’y a pas de clause particulière présentant la spécificité du marché. Le Sanitat se comporte dans cette situation comme tout parent plaçant son enfant auprès d’un maître.

          Mais lorsque le maître est un locataire du Sanitat, le contrat d’apprentissage est intégré au bail établi lors de l’admission de l’artisan dans la Maison.

          Si, comme cela a déjà été vu, la volonté de l’artisan d’instruire les enfants de la Maison est, dès l’origine du Sanitat, une condition importante de son admission, il ne semble pas que dans les premiers temps le placement d’enfants chez les locataires ait été systématique.

          Parmi les premiers baux consentis par le Bureau à des artisans, un grand nombre de comportent pas de clause d’apprentissage. Cette absence est normale pour certaines professions : lorsque le local est un entrepôt loué par un marchand, celui-ci paie juste un loyer, sans autre obligation. Dans d’autres cas, la contrepartie se présente sous une forme différente, généralement en nature, en fonction de la profession de l’artisan. L’entrée d’un bonnetier dans la Maison peut ainsi être une opération intéressante pour les Directeurs qui lui demandent, en contrepartie du logement, de fournir bonnets et vêtements pour les pensionnaires.

          Par la suite, l’apprentissage semble être devenu la règle commune pour tous les artisans du Sanitat, et le XVIIIe siècle offre très peu d’exemples de contrats qui ne comportent pas ce type de clause.

          Les conditions d’apprentissage qui figurent dans les contrats des artisans du Sanitat sont toutes bâties sur le même modèle : en contre partie du logement, l’ouvrier et sa femme s’engagent à prendre auprès d’eux un certain nombre d’enfants de la Maison afin de leur apprendre leur métier. Le nombre d’enfants peut être prévu dans le contrat ou laissé à l’appréciation des Directeurs des pauvres. Dans ce dernier cas l’artisan s’engage à prendre " des enfants de la dite closture en tel nombre que MM. les directeurs jugerons a propos ".

          Le sexe des enfants est parfois déterminé dans la convention, lorsque cela est nécessaire, ainsi Guillaume Papillon, cordonnier, s’engage-t-il à prendre avec lui " six enfants masles " ; ou encore – autre exception – Yzabelle Mauregard, fustainière, femme de Philippe Mayer, marinier, s’engage-t-elle " d’apprendre aux garçons et filles qui luy seront mis soubz sa conduite par Messieurs de ladite direction, sçavoir aux garçons le mestier de faire futaines & basines et aux filles a coudre et filer de la laine ".

          Comme le sexe, l’âge des enfants est aussi parfois inclus dans le contrat, il sert dans ce cas à déterminer la durée de l’apprentissage : Jan Aubert s’engage a rendre ses apprentis " capable de travailler dudit mestier et de gaigner leur vie a l’aage de seize ans au regard de ceux de dix onze a douze ans, et quant à ceux de l’aage audessus de douze ans ils seront quatre ans audit aprantissage ".

          La durée de l’apprentissage est toujours stipulée dans le bail, elle varie en fonction du maître et de sa profession entre deux et cinq ans : deux ans pour un ouvrier en soie ou un corroyeur ; deux, trois ou quatre ans pour un bonnetier ; quatre ou cinq ans pour un tissier.

          Les conditions financières de l’apprentissage des enfants qui restent dans le Sanitat sont différentes de ceux qui sortent de la Maison. La mise en apprentissage d’enfants auprès de locataires de l’Hôpital général ne donne lieu à aucune contrepartie financière, et ce pour plusieurs raisons : d’une part, il s’agit déjà de la contrepartie du droit d’entrée dans le Sanitat (à laquelle s’ajoute généralement un loyer). D’autre part, l’habillement, la nourriture et le logement des enfants restent à la charge de la Maison, ce qui n’est pas le cas pour les enfants placés hors de l’Hôpital. Les maîtres n’ont à leur charge aucun frais d’entretien des enfants, ils ne reçoivent donc pas de dédommagement à ce titre. Les contrats stipulent très souvent les conditions d’entretien des enfants : " lesquels enfans aprantiffs seront nouris et entretenus aux frais de ladite direction ", ou " pendant lequel temps de deux ans lesdictz enfants seront nouris et entretenus couchez et [un mot illisible] aux despens des deniers et charittez de ladicte direction ".

          Les artisans s’obligent vis-à-vis de la Direction à bien traiter les enfants, de nombreux contrats prévoient notamment que le maître traitera les enfants " humainement ".

          Le bail qui lie Pierre Allevy, ouvrier en soie, et sa femme au Sanitat stipule même que : " Lesdictz Allevy et femme s’estudiront de donner bonne exemple en leurs vyes parolles et bonne conduite et ne souffriront aucune lissence desordre ny desreglemant onteux et les traicteront humainement sans user d’aucun chastiment excessifs et cruels, dans la correction qu’ils seront obligez de leur faire ". Ici l’obligation des artisans va au-delà d’un traitement humain, il ont un vrai devoir d’éducation envers les enfants qui passe par la surveillance de leur propre comportement.

          L’obligation des maîtres en matière de formation apparaît presque systématiquement dans les contrats ; le maître ou la maîtresse s’engage à instruire les enfants " à son pouvoir ", " à son possible " ou, comme dans le bail d’Yzabelle Mauregard, " le mieux qu’il luy sera possible comme ayant toujours esté recognüe capable pour ces effets ".

          Mais il ne faut pas s’y tromper, l’artisan s’oblige à former en un temps limité un élève qui doit être – au terme de l’apprentissage – capable de gagner sa vie. Le but est évidemment de décharger le Sanitat de l’entretien des enfants mis à même de subvenir à leurs besoins.

          Si à l’échéance du contrat l’apprenti n’en est pas capable, sa formation devra être achevée à la charge de son maître. Ainsi, le tessier Jan Aubert s’engage-t-il à parachever la formation de ses élèves si au terme de quatre années il ne peuvent travailler pour eux-mêmes : " Et ou lesdits enfants ne sçauroient sufisamant travailler dudit mestier au bout desdits seize ans lesdits preneurs seront tenus les reprendre enseigner nourrir et entretenir a leurs frais jusques a ce qu’ils sachent bien et düment travailler dudict mestier de tessier ".

          Pareillement, Pierre Allevy et sa femme promettent qu’" appres lesdictz deux ans [d’apprentissage] expiréz demeureront lesdictz enfants garsons ou filles avecq lesdictz Allevy et femme s’il est jugé a propos par lesdictz directeurs pour parachever leur enthière instruction en cas quelle ne seroit parfaicte et suffisante aux charges soings et despances d’iceux Allevy et femme ".

          Cette mesure d’économie montre bien la limite de la politique d’assistance du Sanitat : la mise en apprentissage des " enfants bleus " répond à plusieurs objectifs tels que l’occupation des pensionnaires (leur éviter l’oisiveté et leur donner goût au travail), la fourniture de main-d’œuvre pour les ateliers et manufactures de la Maison, mais aussi la nécessité de mettre les enfants en état de gagner leur vie en leur donnant un métier. Or le Sanitat ne peut faire cet effort pour chaque enfant que dans une limite de coût, et il ne peut se permettre d’entretenir un pensionnaire au-delà du raisonnable. Si l’enfant ne peut s’assumer au terme de sa formation, il ne pourra pas quitter l’Hôpital ; mais l’Hôpital ne pourra pas non plus l’entretenir en vain. C’est donc son maître qui doit lui fournir les moyens vivre par son travail.

          De la même manière, lorsqu’un enfant du Sanitat quitte son maître une fois sa formation achevée, il ne doit plus attendre aucun secours de la Maison puisqu’il est à même de travailler. Ainsi, le 22 novembre 1653, le Bureau du Sanitat rejette-t-il la demande d’assistance de deux personnes qui ont terminé leur apprentissage : " René Ricou Me cordonnier a representé au Bureau Henry Thebaud et Michel Boisseau natifs de cette ville qui ont apris le mestier de cordonnier chez luy pendant le temps de deux ans qu’ils ont esté en apprentissage ; par les soins et charité du bureau de la direction, auquel ayant faict quelque demande d’argent ou d’habits ils en ont esté refusez attendu qu’on les a mis en estat de gaigner leur vie ".

          Une dernière clause relative au déroulement de l’apprentissage chez les maîtres locataires du Sanitat concerne la participation des enfants aux enterrements. Ce type de dispositions est systématiquement présent dans les actes dès la seconde moitié du XVIIe siècle.

          La participation des " enfants bleus " aux convois funèbres de la ville – en vertu du privilège de l’Hôpital général de fournir le personnel nécessaire à la pompe funéraire – figure parmi les " activités " que la Maison offre à ses pensionnaires.

           

        5. La participation à l’exercice des privilèges du Sanitat.

        Parmi les différents privilèges dont bénéficie le Sanitat, le seul dont l’exercice nécessite l’emploi d’une " main-d’œuvre " est la fourniture des pleureurs, des tendeurs et des porteurs pour les funérailles qui se célèbrent dans la ville et les faubourgs de Nantes.

        Très vite, les Directeurs des pauvres ont pris l’habitude d’envoyer aux enterrements des " enfants bleus " du Sanitat plutôt que tout autre résidant de la Maison.

        Ce choix pose un problème d’emploi du temps puisque la plupart des enfants de la Maison sont en même temps occupés chez un maître ou dans une des manufactures du Sanitat. Pour pallier cette difficulté, les Directeurs des pauvres vont introduire dans les contrats qui lient les artisans à l’Hôpital une clause concernant la participation des apprentis aux enterrements.

        Nous n’avons trouvé aucun contrat où cette participation était exclue, même s’il ne semble pas impossible qu’elle le fut dans de très rares cas.

        Elle peut toutefois être limitée, comme en témoigne le bail passé avec le bonnetier Julien Ousdit, le 22 janvier 1664, lequel prévoit que les enfants feront leur apprentissage " sans qu’ils puissent estre divertis ailleurs, fors pour les enteremans qui se feront en la ville et forsbourgs dudict Nantes, par ce qu’il en demeurera trois en la boutique dudict preneur qui ne pouvront estre pris pour aller ausd. enterremants ". Par cette restriction l’artisan ménage sa main-d’œuvre et fait en sorte de toujours avoir auprès de lui un nombre suffisant d’aides pour faire fonctionner son atelier.

        La même limitation se retrouve dans le contrat passé avec Jan Aubert, tessier : " Et lors que lesdits enfans seront mandez pour les enteremens ou autres besoins de la direction lesdits preneurs les y laisseront aller a la reserve de ceux qui seront sur les mestiers cy ce n’est en cas de pressente necessité ".

        Les difficultés entre la Direction et les artisans au sujet des enterrements ont dû se multiplier puisqu’au début du XVIIIe siècle le Bureau du Sanitat rédige un Règlement pour l’apprentissage des garçons qui énonce dans son article IV : " Que pour éviter les discussions entre les maîtres ouvriers et le Regent, sur ce que dans le besoin d’une grande quantité d’enfans pour les enterrements on prend par préference ceux d’une boutique à une autre, le Regent aura une note des enfants en boutique, et il ne pourra les prendre que tour a tour, et suivant l’ordre du tableau ".

        La mise en place de ce tableau de roulement des enfants pour assister aux enterrements a un autre but que laisse entrevoir le règlement à la lecture de son article VI : " Au moyen de cet arrangement les enfants employés à la manufacture de bas de fil au métier ne pourront en être distraits pour quelque raison que ce soit, pas même pour les enterrements, à moins que les enfants occupés dans les boutiques de la Cour des Artisants ne fussent pas suffisants pour remplir le nombre qui en seroit demandé ".

        L’objectif est clairement de favoriser la production de la manufacture de bas de fil au métier du Sanitat en faisant reposer la charge de participer aux enterrements exclusivement sur les enfants placés auprès des artisans de la Maison.

        Les enfants choisis pour les enterrements sont envoyés auprès des ciriers qui ont notamment pour mission l’organisation de la cérémonie funéraire.

        La participation des " enfants bleus " aux enterrements n’est évidemment pas gratuite ; les ciriers doivent tenir le compte de l’utilisation des enfants et verser une redevance au Sanitat.

        Le tarif perçu par enfant a évolué entre le XVIIe et le XVIIIe siècles, mais il semble que l’Hôpital général l’ait toujours trouvé trop faible eu égard aux inconvénients que cela entraîne pour la Maison.

        Le 13 mai 1715, le Bureau de l’Hôpital général "négocie" une augmentation de ce tarif qu’il justifie en ces termes :

        Monsieur Laurencin aiant represantés que les enfans qui alloient aux enterremens estoient fort dissipés par la perte de temps qu’ils faisoient et de plus qu’ils usoient beaucoup de chaussures et d’habits et que les siriés donnoient une somme trop modique pour les soustriaire du travail de la maison, sur cela le Bureau à deliberé que dorenavant les siriés payront trois sols par chaque enfans, et qu’en cas le corps soit portée dans une autre lieu que la paroisse ils payront quatre sols par chaque enfans, et les processions comme à l’ordinaire trois livres quatre sols, après avoir communiqués le presant arresté au Sr Pirons, la dame Marie, et à la dame Fousang y ont consenty.

        Cette hausse du tarif semble être bien acceptée par les ciriers qui l’approuvent visiblement sans réticence.

        Dix ans plus tard, en 1725, les Directeurs des pauvres augmentent une fois de plus ce tarif, le faisant passer de cinq sols à dix sols, mais devant le doublement pur et simple du prix, les ciergers refusent de se soumettre et prennent des porteurs étrangers au Sanitat qu’ils rétribuent eux-mêmes.

        Dans une lettre du 6 juillet 1725 au Maire de Nantes, Laurencin, membre du Bureau du Sanitat, se plaint de cette situation et lui demande d’intervenir. Il semble que le Maire n’ait rien fait puisque le 13 décembre 1725, le Bureau de l’Hôpital général écrit à l’Intendant de Bretagne, Feydeau de Brou, et lui demande d’user de son influence auprès de Mellier :

        Il y a plusieurs mois que considérant que les enfants qu’on donne pour porter les torches aux enterrements n’avoient de retribution que 5 s, que cela les occupoit et les dérangeoit de leur travail presque tous les jours, qu’ils usoient beaucoup plus leurs hardes, et que par cette raison la Maison en retiroit peu d’utilité, nous arrêtames qu’on prendroit 10 s par ce que la chose est volontaire, et qu’on ne les demande que pour des personnes aisées dont les familles ne sont point incommodées de cette petite dépense qui dépend d’eux. Les ciriers nous contrarient en cela sans autre raison que leur interest particulier, et quoy qu’ils y ait des sentences du présidial qui leur défendent de se servir d’autres personnes que des pauvres du Sanitat pour les enterrements ils ne laissent pas d’agir au contraire, oserions nous vous supplier, Monseigneur, de vouloir bien écrire à Mr Mellier d’envoyer chercher les ciriers, de leur dire de votre part que s’ils s’avisent de ne pas concourir à faire le Bien du Sanitat, et a se servir de ces pauvres pour les enterrements sans y pouvoir employer aucune autre personne, que vous donneriez vos ordres pour que le Sanitat fournisse privativement les torches, testes de morts & armoiries qui s’employent aux funérailles, cette menace de votre part Monseigneur les mettra dans leur devoir, ce qui pourra faire du bien à la maison.

        L’Intendant, peu sensible aux arguments des Directeurs du Sanitat, et ne voulant certainement pas se laisser forcer la main, se contente de renvoyer la lettre à Mellier accompagnée de ces mots : " Vous ferez l’usage que vous jugez convenable de l’expedient qu’ils proposent a ce sujet. Je laisse cela a votre prudence ".

        La rétribution des enfants semble se stabiliser par la suite, puisqu’une affaire du 17 septembre 1743 qui oppose le Sanitat à une marchande cirière, permet d’estimer le tarif pour les enterrements à dix sols par enfants.

        Enfin, Léon Maître donne – pour l’année 1785 – un tarif de 12 à 24 sols en fonction de la paroisse du défunt.

        Malgré quelques affaires, ce privilège fait partie des rares que le Sanitat a pu exercer sans trop de difficultés, ce qui explique le faible contentieux qui l’oppose aux ciriers. La cause de ce manque de combativité de la part de ces marchands ciriers est peut-être à rechercher dans l’inorganisation de leur métier en corporation. En effet, nous n’avons nulle part trouvé trace d’un corps des ciriers nantais, et de son côté, Édouard Pied n’en fait aucune mention dans son ouvrage sur les corporations nantaises. Alfred Franklin dans son Dictionnaire historique des arts, métiers et professions, rattache les marchands ciriers au corps des épiciers, à un échelon inférieur à la maîtrise. Ouin-Lacroix, dans son ouvrage sur les corporations rouennaises inclut les ciriers dans le corps des "apothicaires, ciriers et épiciers", régis sous les mêmes statuts. Il est fort probable qu’à Nantes, la profession de cirier n’ait jamais été érigée en corps, ce qui l’empêche d’opposer un quelconque privilège aux prétentions – légitimes – du Sanitat.

         

      3. Un exemple de développement pré-insdustriel : la manufacture de cotonnades.
      4. Au terme de ce titre consacré aux fondements et à l’organisation du travail des pensionnaires du Sanitat, il nous semble intéressant d’étudier l’expérience de développement d’une manufacture de cotonnades, tentée par les Directeurs des pauvres de 1714 à 1717.

        Cette tentative se solde – en 1717 – par un échec pour le Sanitat ; mais elle est immédiatement reprise par un certain nombre de directeurs de l’institution, qui en font très rapidement une affaire rentable.

         

        1. L’initiative des directeurs des pauvres pour développer une manufacture au sein du Sanitat.
        2. Léon Maître présente – en quelques lignes – la création d’une manufacture de cotonnades au sein du Sanitat comme la volonté des administrateurs de s’insérer dans un secteur économique nouveau pour la Maison. Il considère que cette manufacture n’est qu’une tentative de plus du Bureau pour développer une activité rentable qui apporterait à la Maison des fonds tellement nécessaires à l’entretien des pauvres.

          En réalité, cette initiative est beaucoup plus que cela, elle représente même pour certains administrateurs la panacée qui permettra à l’ensemble des pauvres de la ville de ne plus dépendre de la charité. Dans l’esprit de certains d’entre eux, mettant leurs espérances dans l’exemple Rouennais, le travail du coton pour la manufacture du Sanitat pourrait à terme fournir suffisamment d’ouvrage à la population indigente de la ville pour qu’elle soit à même de se passer du Sanitat.

          En effet, à la même époque, la ville de Rouen connaissait un essor considérable grâce au développement des étoffes à bases de coton.

          Introduit fortuitement au début du XVIIIe siècle – suite à une erreur de commande – par un négociant de la ville nommé Delarue, le filage et le tissage du coton par les toiliers de Rouen connaissait vers 1718 une vogue extraordinaire, si bien qu’il fallut faire un règlement spécial pour ces toiles que l’on s’arrachait à la halle.

          Léon Maître expose précisément l’influence de l’exemple rouennais sur les Directeurs des pauvres, qui – en 1714 – envoient à Rouen un tisserand chargé de se former au travail du coton.

          Une fois assurés d’avoir avec eux un artisan compétent, les administrateurs du Sanitat purent commencer la production des étoffes.

          Hélas, les premiers résultats de la manufacture s’avèrent très décevants, et à peine quelques mois après le début de l’expérience, il est déjà question de tout arrêter.

          D’ailleurs le Bureau a pris la décision de solder l’affaire et de revenir à une production plus orthodoxe lorsque se présente Henri Soyer – probablement un marchand ou un tisserand de la ville – qui croit en la viabilité de l’entreprise, et se propose de la poursuivre.

          Il faut croire que parmi le Bureau du Sanitat certains directeurs ont confiance en l’affaire, car malgré le risque financier que cela fait courir à la Maison, la décision est prise de passer un marché avec le sieur Soyer pour la continuation de la manufacture de cotonnades.

          Ce contrat, d’une durée de six années – du 1er janvier 1715 au 1er janvier 1721 – est signé lors d’une séance extraordinaire du Bureau de l’Hôpital général, le 25 février 1715.

          Les conditions arrêtées entre le Bureau du Sanitat et Henri Soyer pour l’exploitation de la manufacture traduisent parfaitement les espérances que les " pères des pauvres " mettent dans cette entreprise. Le Sanitat, visiblement prêt à certains sacrifices, s’engage à supporter la majeure partie des charges de l’affaire, tandis que Soyer ne s’oblige pour sa part qu’à " travailler de tout son possible pour augmenter et perfectionner ladite manefacture au point que la maison y trouvera un profit convenable ".

          En pratique, le Sanitat s’engage à fournir à Henri Soyer tous le matériel nécessaire à la production, à savoir dans un premier temps " douze mettiers montés les tranouils et roits necessaires pour le devidage des matieres ". Outre les machines, la Maison offre aussi " Tous le fil et coton necessaire pour faire travailler lesdits metiers et meme ceux de dehors qui sont occupes et ceux que ledit Soyer jugera a propos de faire travailler pour la plus grand utillité de la ditte manéfacture ".

          Par la suite, " s’il est jugé a propos par le Bureau ou directeur d’ogmanter le nombre de mettier dans la maison lesdits pères et gouverneurs des pauvres s’obligent de les fournir, et comme il sera besoin d’un emplacement pour les mettre, de fournir ledit emplacement ".

          Cet extrait illustre bien les ambitions du Bureau, le but est de développer la manufacture, en faire une entreprise importante et qui occupe beaucoup de monde. Néanmoins, dans le cas où il faudrait procéder à une augmentation du nombre de métiers ainsi que des locaux, le Sanitat prendra un loyer de huit livres par an et par métier supplémentaire.

          L’Hôpital apporte aussi à la manufacture ses locaux, composés de l’ouvroir où sont installés les métiers ainsi que d’un pavillon et de deux chambres occupées par Soyer et ses compagnons. Le loyer de ces locaux s’élève à cent livres par an pour l’ouvroir et à quatre-vingt livres pour le pavillon et les chambres.

          La main-d’œuvre est évidemment constituée par les enfants de la Maison ; ils sont en 1715 dix-huit à travailler pour la manufacture, mais comme le précise le traité " sauf a augmenter ledit nombre sy les directeurs le jugent a propos, pour les emploier sur lesdits metiers ou pour devider ". Or, le 2 juillet 1716, le Bureau prendra une résolution visant à ce que " les trois quarts des enfants de la maison qui filent du coton fileront pour la manefacture, et l’autre quart filera pour la ville ".

          Le traité précise également que Soyer ne payera aucun salaire pour les enfants qui travailleront à la manufacture, et que leur entretien et leur nourriture resteront à la charge de la Maison ; il dispose ainsi d’une main-d’œuvre totalement gratuite, disciplinée et corvéable à merci. Néanmoins, s’il est particulièrement satisfait du travail de certains d’entre eux, et pour leur donner du courage et l’envie de se perfectionner, Soyer pourra leur octroyer " quelque gratification, […] laquelle gratification il passera en dépance ".

          La principale obligation de Soyer consiste à " travailler de tout son possible… ", mais ce n’est pas la seule, les autres – aussi infimes soient-elles – sont de former deux apprentis par an, et de rendre des comptes mensuels, ainsi qu’un état général de la manufacture tous les ans.

          Enfin, lorsque la Maison aura besoin d’étoffes pour les pauvres, la manufacture sera tenue de les fournir à prix coûtant.

          De ces conditions déjà avantageuses, Soyer retire en outre 250 livres par an pour sa nourriture, 150 livres pour celle de son second, 80 livres pour la dévideuse, et 25 livres par an pour la soupe qu’il sert aux compagnons qui travaillent à la manufacture, le texte précisant d’ailleurs : " bien entendu que c’est vingt-cinq livres par an par chaque compagnon ".

          Les revenus que Soyer peut espérer de cette entreprise s’élèvent au cinquième des bénéfices de la manufacture : " il aura pour ses peines et soins un cinquieme de tous les profits déduis tous les frais ordinaires et extraordinaires qu’il aura fait concernant ladite manéfacture & les quatre cinquiesme qui resteront il en tiendra compte aux pères et gouverneurs des pauvres ".

          Peut-être que les administrateurs du Sanitat ont eu peur de ne pas lui donner assez de preuves de confiance ; toujours est-il qu’après avoir arrêté dans le contrat que le sieur Soyer s’occuperait de vendre le stock restant de la production antérieure au 1er janvier 1715 – date d’effet du traité – au profit exclusif du Sanitat, il a été ajouté sur le registre une mention marginale stipulant que le cinquième du profit de cette vente lui reviendrait à titre de gratification et d’encouragement.

           

        3. Une gestion impossible : l’échec de l’expérience.
        4. Avec un tel contrat Soyer était assuré de réussir, pourtant au bout de deux ans, le Bureau décida de cesser la manufacture.

          Les raisons de cet échec ne doivent pas être recherchées – comme le fait Léon Maître – dans les relations conflictuelles entretenues par Soyer et les directeurs des pauvres ; elles sont plus profondes, et traduisent la frilosité du Bureau face à la nécessité d’investissements de grande ampleur.

          Léon Maître a, sur la question de la manufacture, commet plusieurs confusions : d’une part en ce qui concerne le traité passé avec Soyer, pour lequel il voit le preneur racheter le droit d’exploiter la manufacture contre le remboursement des frais d’installation de celle-ci et la somme de 1 000 livres. D’autre part sur l’opération de sauvetage de l’entreprise organisée par certains administrateurs du Sanitat : il n’a pas vu la société constituée pour l’occasion, et – plus grave – il a confondu deux des associés, les sieurs Michel, avec le prénom d’un autre : " les sieurs Michel [deux frères, Pierre et Jean], Montaudouin, et Laurencin " s’est transformé en Michel Montaudouin, et Laurencin.

          De plus, Léon Maître analyse la résiliation de son bail au bout de deux années par Soyer comme la conséquence de deux années de reproches et d’accusations : " Ce fabricant ne jouit pas longtemps de sa concession ; il fut obligé de résilier son bail au bout de deux années, pour mettre fin aux reproches dont il était chaque jour accablé. On l’accusait sans cesse de maltraiter les enfants et de ne point surveiller ses ouvriers qui forçaient les portes de l’Hôpital à des heures indues ".

          Nous n’avons pas trouvé trace de violences sur les enfants ; les registres de délibérations ne mentionnent aucune plainte, ce qui nous permet de douter de la véracité de ces assertions.

          En revanche, il est vrai que le Bureau reproche à Soyer certains manquements à la discipline de la Maison parmi lesquels les allées et venues désordonnées des compagnons qui travaillent à la manufacture.

          Autre dérèglement de taille, le 18 mai 1717, alors que la situation entre Soyer et le Bureau est déjà fort dégradée, il est rappelé à l’ordre : " Le Bureau a ordonné à Soyer d’avoir une chambre hors de la maison ainsy qu’il en est convenu & deffenses a luy & a sa femme de se promener dans le jardin & a sa femme de coucher dans la maison ".

          Il est compréhensible que la présence d’un couple marié en contact permanent et direct avec les enfants ne soit pas de nature à entretenir la discipline de la Maison, et que les directeurs s’en offusquent est normal. Mais il y a loin pour l’obliger de résilier son bail pour de telles peccadilles !

          Ce qui est reproché au sieur Soyer, car reproches il y a, est tout autre, et beaucoup plus grave.

          Il est sensible que Soyer fait l’objet, dès les premiers mois de la manufacture à partir d’août 1715, d’une surveillance particulière de la part des Directeurs des pauvres, laquelle traduit sans doute l’intérêt qu’ils portent à l’entreprise. Néanmoins, chacun des bordereaux de comptes rendus par Soyer fait l’objet d’une étude minutieuse de la part de commissaires députés à cette fin par le Bureau. Ces derniers rendent ensuite un rapport et l’affaire est discutée par le Bureau.

          Il est important, pour bien comprendre l’intérêt porté par les " Directeurs des pauvres " à cette entreprise que l’on qualifierait aujourd’hui d’"innovante", de savoir que le Bureau du Sanitat est composé d’un nombre appréciable de négociants, c’est-à-dire de personnes rompues aux arcanes de la finance et pour qui la lecture et l’analyse de bilans financiers en dit plus long que tout autre chose.

          Peut-être que Soyer n’est pas non plus le gestionnaire scrupuleux que les Directeurs attendent, ou que la pression mise par le Bureau sur son entreprise a fini par le lasser, toujours est-il qu’il est souvent nécessaire de le rappeler à l’ordre et de l’obliger à rendre ses comptes dans les délais prévus.

          A plusieurs reprises, le Bureau est obligé de nommer un commissaire pour faire " l’inventaire des cotonnades qui sont dans le magasin, et des billets dont le sieur Soyer est porteur sur messieurs les marchands ". L’un des avis ajoute pour justifier la mesure : " la maison étant en avance de plusieurs sommes ".

          La situation semble franchement se dégrader au début du mois de mai 1717, lorsque Soyer est sommé par le Bureau de rendre ses comptes sous quinze jours. Il apparaît d’ailleurs qu’à compter de ce moment il cesse de payer ses dettes à la Maison. Néanmoins, il est constant qu’il reste le maître de la manufacture jusqu’à sa totale disparition en 1718 ; c’est sûrement que ces retards ne devaient pas être si graves.

          En août 1717, René Montaudouin, un des directeurs des pauvres, et par ailleurs un des principaux négociants de la ville, est député par le Bureau pour " examiner " la manufacture de cotonnades. Son rapport, rendu au Bureau lors de la séance du 6 septembre 1717, véritable audit de la manufacture, est un chef-d’œuvre de négociation commerciale.

          Le texte commence par faire le bilan de trois années de production de cotonnades à Nantes :

          Il [Montaudouin] trouve que le travail des estoffes est parvenu a la perfection que l’on pouvait desirter que leur calitée esgalle celles qui viennent de Rouan & la surpassent mesme, que la vante de ces estoffes se faict prontement & qu’on nepeut a present en fournir a beaucoup pres tout ce qui est demandé qu’on a accoutumé les pauvres gens des fauxbourgs de cette ville afiler le cotton ce qu’ils font a present tres bien & d’une manière a en fournir abondamment la ditte manufacture dont il resulte un second bien pour la maison en ce que ces pauvres gens tirent du fillage du cotton des moyens aisés de subsister avec leurs familles, ce qui les empeschent de mettre leur enfants en cette maison et d’y venir eux-mesme ".

          Il en déduit " qu’on ne peut rien faire de plus avantageux pour l’interest de cette maison que d’augmenter le plus qu’il se pourra laditte manufacture de cottonades ". Ce bilan, malgré les reproches adressés à Soyer, est donc très positif, et Montaudouin va consacrer le reste de son rapport à proposer au Bureau un plan de développement de l’entreprise.

          Le texte de Montaudouin est ambigu et fort habile à la fois ; il commence par déclarer que la manufacture est rentable dès à présent, et que ses profits vont croître à moindre coût.

          Néanmoins, et c’est là que commence l’argumentation, " pour parvenir a cette augmentation il est necessaire de faire un Batiment au haut de la cour des hommes dont il a representé le devis, suivant lequel on pourra mettre au res de chaussée 32 mestiers & dans le grenier tous les fileurs de la maison ". L’intérêt pour le Sanitat est multiple : d’une part cela libère les greniers où sont actuellement installés les fileurs et qui de ce fait ne peuvent remplir leur fonction de greniers à provisions, ce qui est un grand inconvénient pour la Maison. D’autre part, Montaudouin représente que ce bâtiment ne coûtera pas cher à l’Hôpital puisque des ouvriers se proposent de l’exécuter pour la somme de 3 400 livres. Enfin, au cas où " il survenoit des raisons pour la [la manufacture] faire cesser, ce qui ne peut arriver ", ce bâtiment sera néanmoins fort utile au Sanitat qui manque de logements.

          Mais Montaudouin reconnaît aussi " que la maison n’a pas a present de fonds inutiles pour fournir a cette depense & qu’il luy convient d’eviter les emprunts a interests ".

          Aussi, pour palier cette difficulté, il propose au Bureau de prêter – avec l’aide de quelques uns de ses amis – cette somme à la Maison sans intérêt. Il se porte garant de trouver ces 3 400 livres, " mesme jusqu'à 5 000 livres a cause qu’il est necessaire d’augmenter les mestiers qu’il conviendra faire ". A ces 5 000 livres, il ajoute un fonds de 1 000 livres pour mettre dans le bâtiment. L’investissement – déjà conséquent – de 3 400 livres se porte ainsi en quelques mots à 6 000 livres, ce qui représente une très grosse somme pour l’Hôpital. Mais Montaudouin, habitué à manipuler des fonds importants, ajoute rapidement " [qu’]il seroit mesme utile de pousser cet emprunt jusqu'a 8 000 livres sy on trouve des personnes charitables qui veullent bien le faire , en ce que ce qui en restera apres le batiment faict et les mestiers acheptés le faire servir a l’achapt des mattières necessaires a la ditte manufacture et que l’on peut esperer que le proffit qu’elle donnera pourra acquitter ledit emprunt ".

          De 3 400 livres à 8 000 livres – alors que selon le début du rapport, la manufacture est dès à présent rentable – il y a un abîme que le Bureau ne peut franchir, et Montaudouin le sait. Aussi, il propose immédiatement " avec l’aide de ses amys de faire faire ledit batiment a ses frais pour en estre remboursé sur les premiers proffits que fera ladite manufacture & loyers dudit appartement que la manufacture payera a condition qu’il plust au Bureau de faire une délibération par laquelle il s’engageroit a fournir les mestiers necessaires pour remplir ou garnir ledit nouveau batiment, de continuer ladite manufacture pour huict années et qu’en cas que l’on la fist cesser avant le remboursement, ce qui luy sera deub de reste luy sera payé par la maison ".

          Montaudouin a totalement confiance en cette affaire sur laquelle il fonde de grandes espérances ; son rapport vise à persuader les membres du Bureau de la nécessité de développer l’entreprise pour le bien du Sanitat. Sa conviction est si forte qu’il offre de reprendre la manufacture à son propre compte.

          Le Bureau a certainement été impressionné par la démonstration de Montaudouin, mais ne pouvant prendre une telle décision seul, communique le rapport pour avis aux différents corps de la ville.

          La réponse n’est pas favorable aux investissements proposés par Montaudouin, ni à la continuation de la manufacture aux conditions actuelles ; en revanche, les différentes autorités consultées considèrent avec Montaudouin que l’entreprise est intéressante au plan économique pour la ville. Ils conseillent alors au Bureau d’accepter l’offre de reprise faite par Montaudouin et ses amis.

          Le 30 mai 1718, le Bureau du Sanitat se tient à la maison de ville en présence notamment du Doyen, du Sénéchal, et des principaux intéressés. L’objet de la séance est de valider la liquidation de la manufacture de cotonnades du Sanitat, les comptes sont examinés et le montant de ce qui s’apparente plus à une vente qu’à une reprise. Les comptes font apparaître que depuis l’origine la manufacture a coûté au Sanitat – une fois les recettes déduites – la somme de 10 360 livres et 4 deniers. Il est arrêté que cette somme sera payée à la Maison par les repreneurs, les sieurs Michel, Montaudouin et Laurencin. En outre, ils paieront au Sanitat les loyers dû par Soyer du début du mois de mai 1717 à la Noël 1718.

          Cette délibération entérine donc l’échec de la manufacture du Sanitat, commencée en juillet 1714, et qui se termine donc en mai 1718.

          Les causes de cet échec sont à rechercher ailleurs que dans la simple frilosité du Bureau confronté à la nécessité d’investir d’importants capitaux dans une affaire qui dépasse largement l’objet du Sanitat.

          Léon Maître conclut les quelques lignes qu’il consacre à la question par ce constat : " Il est certain que les nécessités d’une exploitation industrielle ne pouvaient guère s’allier avec le bon ordre et la discipline nécessaires dans un asile tel que le Sanitat ". Son analyse est juste à une nuance près : là où il pensait bon ordre et discipline des pensionnaires, il faut au contraire lire bon ordre financier et discipline budgétaire.

          Le Sanitat ne pouvait effectivement pas assumer seul l’exploitation d’une entreprise aussi ambitieuse, ce qui l’a amené à l’abandonner, c’est la simple prudence, tellement nécessaire à la survie de l’établissement.

          Néanmoins, l’Histoire retient que l’initiative du développement des cotonnades à Nantes est venue d’un établissement hospitalier.

           

        5. Le rachat de la manufacture par une société de négociants nantais.

    Les "amis" dont parle Montaudouin dans son rapport au Bureau du Sanitat, sont en fait d’autres négociants nantais, pour certains aussi membres du Bureau du Sanitat : ce sont les sieurs Pierre et Jean Michel, Nicolas Berthrand, Coralis (?) de Pradines, Claude Thiercelin et Germain Laurencin.

    La lecture d’un tableau consacré aux liaisons familiales et commerciales des "Familles Consulaires" établi par Maurice Quénet dans sa thèse consacrée au Général du Commerce de Nantes, permet de relier ces personnages entre eux autant dans leurs relations matrimoniales que commerciales.

    Il faut remarquer au vu de ce tableau, que la manufacture de cotonnades créée en 1718 apparaît comme un des premiers regroupements de négociants pour la production "industrielle" de biens sur Nantes.

    Une dernière information que nous livre ce tableau est qu’en 1713, la famille Montaudouin s’est alliée par mariage au sieur Bouet, négociant rouennais. Il est impossible ne pas faire le rapprochement avec l’envoi en 1714 d’un tisserand nantais à Rouen pour se former au travail du coton. La coïncidence semble trop belle : est-ce à la fortune de cette alliance matrimoniale qu’est née l’idée d’exporter à Nantes le travail du coton comme il se faisait à Rouen ? Peut-être.

    Toujours est-il que ces hommes, qui se fréquentent quotidiennement pour leurs affaires comme pour les affaires publiques auxquelles ils sont associés, décident de fonder une société pour racheter et exploiter la manufacture de cotonnades du Sanitat.

    Le préambule du contrat de société est clair sur l’objectif que poursuivent les nouveaux associés ; il s’agit de racheter totalement la manufacture du Sanitat et de la poursuivre pour le compte de la nouvelle société :

    Sur ce que MM. les directeurs de l’hopital général ont cru que la continuation de la manufacture de cottonnade estoit contraire aux regles dudit hopital et par cette raison ont resolu de la faire cesser. La connaissance que nous avons de son utilité pour les pauvres de cette ville auxquels elle donne de l’occupation par le filage des cottons & par la le moyen de subsister nous a engage a nous charger de cette manufacture a cet effet nous avons convenu avecq messieurs les directeurs de l’hopital general de les rembourser generallement de toutes les mises et despenses qu’ils ont faites pour laditte manufacture depuis son etablissement & de leur payer une somme de mil livres au dela pour les dedommager de la [un mot illisible] de leur argent au moyen de quoy tous les effets, ustenciles et credits de la ditte manufacture nous doivent estre remis & sont a nos risques.

    Chacun des six partenaires, Pierre et Jean Michel, Nicolas Berthrand, Coralis (?) de Pradines, Claude Thiercelin, Germain Laurencin, et René Montaudouin, s’associe pour un sixième de la société. Le capital mis en commun est – dans un premier temps – de 20 000 livres ; chacun des associés apporte personnellement 4 000 livres ; seul Claude Thiercelin est dispensé d’apport car il a accepté de diriger la manufacture. Les bénéfices nets seront également partagés entre les six associés.

    La durée de la société est prévue pour neuf années, de la fête de Noël 1718, à celle de 1727.

    Dans son rapport au Bureau, Montaudouin avait marqué la nécessité d’agrandir les locaux de la manufacture. Avec son rachat, elle ne peut demeurer au sein du Sanitat ; le contrat prévoit donc que sera construit un nouveau bâtiment sur le terrain affermé pour le compte de la société par le sieur Thiercelin au sieur Jean Bernard. Ce terrain est situé au haut du Bignon Lestard, près les Gastineaux.

    Les conditions de cette ferme – aussi prévue pour neuf ans – étaient que les époux bernard, propriétaires du fonds, auraient jusqu’à la Saint Jean-Baptiste 1721 pour rembourser à la société les frais de construction des bâtiments qu’elle ferait ériger sur le pré. Faute de remboursement, la société deviendrait propriétaire du fonds moyennant 25 livres de rente foncière annuelle et une somme de 525 livres comptant.

    Un parchemin du 7 avril 1728 nous apprend que ni en 1721, ni en 1728, au terme de la ferme, les époux bernard n’ont été en mesure de rembourser la construction du bâtiment à la société qui devient, par ce dernier acte, le propriétaire légal du fonds.

    Le contrat de société de mai 1728 mentionne encore un dernier détail qui a son importance : le sieur Thiercelin a passé un traité avec le sieur Soyer, choisi pour conduire la manufacture. Ce traité ne nous est pas parvenu, mais le contrat de société stipule qu’il lui a été accordé à titre de revenus un dixième des profits de la manufacture.

    La reconduction du sieur Soyer dans la direction de la nouvelle manufacture par les négociants semble invalider la version de Léon Maître, qui attribuait la disparition de la manufacture de cotonnades du Sanitat à la mauvaise conduite de Henri Soyer.

    Par la suite, la manufacture de cotonnades du Bignon Lestard va connaître une grande prospérité ; on en retrouve la trace à plusieurs reprises, notamment en 1737, lorsque l’Intendant de Bretagne – Pontcarré de Viarme – est obligé d’intervenir pour interdire le débauchage d’ouvriers de la manufacture royale du Petit Château de Rouen par le Maître de la manufacture nantaise.

    En 1783, les héritiers Montaudouin vendent leurs parts dans cette entreprise qui a déjà 66 ans. L’acheteur, le Sieur Roger de la Mouchetière, paie ces parts 13 500 livres.

    Enfin, il faut s’interroger sur les intentions réelles des négociants qui ont racheté la manufacture du Sanitat. Ces hommes, coutumiers de la pratique des affaires, rompus aux chiffres, ont certainement senti dès 1714 tout l’intérêt économique d’une telle entreprise. La création au sein du Sanitat de cette manufacture vouée à l’échec faute d’investissements suffisants peut apparaître comme une expérience, une étude de viabilité à moindre coût, orchestrée par un groupe d’investisseurs en même temps administrateurs de l’Hôpital. Une fois l’intérêt du projet prouvé, ils n’ont eu qu’à transplanter l’entreprise hors du Sanitat et de ses règlements contraignants afin de l’exploiter pour leur propre compte.

    Le Sanitat a joué dans cette affaire le rôle d’un laboratoire, il a permis d’une part d’étudier les conditions de mise en œuvre de l’entreprise ainsi que les profits qui peuvent en découler ; et d’autre part, de former une main-d’œuvre désormais compétente et disponible.

     

     

     

     

     

    Le Sanitat se situe ainsi en porte à faux entre une politique royale d’enfermement systématique des pauvres qui le contraint à mettre en place une infrastructure d’accueil très lourde économiquement, et la nécessité de se financer par ses propres moyens, sans bénéficier – sinon exceptionnellement – de subventions publiques.

    Le pouvoir royal a effectivement fait peser la charge de la politique d’enfermement des pauvres sur les communautés d’habitants, les villes sont alors obligées de recourir à différents moyens autres que la charité pour financer leurs établissements hospitaliers.

    Le travail des pensionnaires, en même temps qu’il participe du programme de rééducation des pauvres, apparaît comme une source de financement stable quoique insuffisante à elle seule pour faire fonctionner l’établissement.

    Néanmoins, les ressources tirées du travail des pensionnaires du Sanitat sont très vite devenues nécessaires au fonctionnement de la Maison, malgré les nombreuses difficultés qui les ont accompagnées. L’incursion de l’Hôpital général dans le monde du travail ne pouvait qu’entraîner une confrontation avec les corporations de métiers dont l’activité se trouvait concurrencée par celle des pensionnaires de la Maison.

    Dès lors, les corps d’arts et métiers n’auront de cesse de poursuivre l’Hôpital général, multipliant les procès-verbaux et les procédures judiciaires.

  2. La confrontation avec les corps d’arts et métiers.
    1. La lutte pour le monopole des privilèges.
    2. La défense d’un monopole, d’un privilège passe avant tout par la reconnaissance et la preuve de celui-ci. Or, cette preuve peut être d’autant plus difficile à fournir que le privilège semble évident et sans ambiguïté. C’est le problème auquel se trouvent confrontés les Directeurs des pauvres au début du XVIIIe siècle : leur droit est évident, immémorial, mais impossible à prouver, d’autant plus qu’il a toujours fait l’objet de contestations.

      Ces contestations sont liées à la définition même de monopole, qui ne se partage pas. Et lorsque plusieurs personnes revendiquent le même privilège, la même exclusivité, il ne peut alors y avoir que conflit.

       

      1. L’exclusivité des privilèges.
      2. Le contentieux qui oppose l’Hôpital général aux corporations de métiers repose sur la volonté de chacune des parties d’imposer à l’autre le respect de ses propres privilèges. Ce qui caractérise chaque privilège est l’exclusivité, le monopole qui s’y rattache.

        Il convient dans un premier temps d’envisager la nature et le fondement de ces privilèges invoqués tant par les corporations de métiers que par les " pères des pauvres ". Ensuite, nous verrons en quoi ils s’opposent entre eux et sont inévitablement source de litiges entre le Sanitat et les métiers jurés.

         

        1. Le privilège de maîtrise des corporations.
        2. C’est dans les villes que l’on trouve les artisans et les commerçants, et c’est le lieu où se développent naturellement les corps de métiers.

          L’objectif premier du système corporatif est la défense du consommateur et la protection de l’ordre public, comme en témoignent les règlements des métiers de l’alimentation qui imposent des garanties de fraîcheur pour les denrées périssables. A Nantes, les statuts des Bouchers comportent un grand nombre de dispositions relatives à la qualité de la viande, et au cas où de la marchandise avariée serait mise en vente, ils prévoient des sanctions allant jusqu’à l’étouffement du maître en cas de récidive.

          Les Lettres patentes des apothicaires de la ville de Nantes invoquent en 1617 le bien public afin d’imposer aux aspirants à la maîtrise un long apprentissage et un difficile chef-d’œuvre :

          Et d’autant que par les petites villes et bourgades de l’évesché de Nantes, il s’est depuis la dernière guerre retiré beaucoup d’apoticquaires non recogneuz, par la négligence ou ignorance desquelz il fut commis beaucoup d’abuz pour n’estre assortiz des drogues nécessaires ny mesme de faire ny tenir en leurs boutiques des drogues tant simples que composés communs et convenables pour les malades au grand préjudice du publicq.

          De même, la protection du public est un argument de poids lorsqu’il faut justifier la nécessité du chef-d’œuvre pour l’accession à la profession de chirurgien :

          Supplie humblement Claude Viart, ung des Maistres chirurgiens jurés en la ville de Nantes, comme par les privilèges de chirurgie, nul ne puisse exercer le dit art que premièrement il n’ait esté examiné et fait chef d’œuvre d’icelluy, chose grandement à louer, et qui tourne au proffit du public.

          Le caractère souvent très contraignant des statuts trouve ainsi sa justification dans une forme de " service du public qui s’apparente à un service public ".

          Selon la formule d’Olivier-Martin, les " corporations ", groupements obligatoires fondés sur la profession, ont dans l’État un rôle reconnu, " et jouissent de certaines prérogatives pour parvenir à leurs fins ". Les membres de la corporation disposent donc en contrepartie de garanties de sécurité et de pouvoirs de police qui leurs permettent de veiller à la défense de leurs intérêts, activité qui constitue l’essentiel des fonctions des jurés.

          Ensuite, tous les métiers ne sont pas constitués en corps, certains demeurent libres tandis que d’autres sont simplement réglés.

          Le pouvoir royal a tenté, par des édits de décembre 1581 et d’avril 1597 puis, sous l’inspiration de Colbert, par des lettres du 23 mars 1673, de faire entrer tous les gens de métiers dans les métiers jurés. Ces tentatives qui poursuivent un but essentiellement fiscal n’aboutiront pas. Néanmoins, les métiers jurés continueront à se développer.

          Henri Sée, s’appuyant sur les études d’Édouard Pied à Nantes et d’Armand Rébillon à Rennes démontre que finalement bien peu de métiers sont organisés en jurandes. A Nantes, il y avait 35 métiers jurés contre 60 libres ; à Rennes on dénombre 24 métiers jurés et 63 libres.

          Sur ce point il est important de noter l’extrême diversité des situations : peu de métiers disposent de statuts valables dans tout le royaume ; un métier peut être libre dans une ville et juré dans une autre, de même il peut être juré à une époque et libre à une autre.

          Ainsi les bonnetiers rennais ont reçu des statuts en 1613, mais il semble qu’au XVIIIe siècle ils ne soient plus en jurande, leurs statuts étant tombés en désuétude. Les raisons qui expliquent qu’un métier juré redevienne libre sont multiples ; pour que la communauté survive, il faut que ses institutions fonctionnent, que les maîtres participent aux assemblées, qu’ils paient leurs droits à la " boîte " (la caisse de la confrérie). Les jurandes requièrent le même affectio societatis que les sociétés modernes ; si celui-ci disparaît, c’est toute la société qui cesse d’exister.

          A Nantes, les bonnetiers ont reçu pour la première fois des statuts en 1608, et ceux-ci furent réaffirmés par une délibération de la communauté en 1754. Dans cette ville, le développement des manufactures de bas au métier a contraint les maîtres à une grande vigilance, c’est sûrement cette nécessaire combativité de la corporation qui a assuré sa survie.

          L’érection d’un métier en jurande par l’obtention de Statuts, a plusieurs conséquences pour celui-ci.

          La première, et sûrement la plus importante, est l’acquisition de la personnalité juridique. En effet, seuls les métiers jurés peuvent posséder des biens, notamment immeubles, et ester en justice. Les autres types de métiers disposent seulement de biens, mais sans qu’ils leur appartiennent en propre ; ils ne peuvent plaider qu’assistés (en particulier par des échevins).

          Une autre conséquence de l’obtention de statuts est le monopole qui s’y rattache. Ce monopole est double : à la fois personnel, c’est-à-dire propre à chacun des maîtres admis dans la communauté ; et territorial, en ce sens que l’érection d’un métier en jurande assure à ses membres l’exclusivité de la production des biens propres à leur profession sur l’étendue d’un territoire donné (généralement une ville, exceptionnellement une province).

          Selon Émile Coornaert, " la réglementation [d’un métier] est une garantie contre les excès de la concurrence, un gage de solidarité pour les producteurs. L’autorité en fait aussi le plus souvent une garantie pour les consommateurs, pour la collectivité. Mais elle y ajoute un autre gage de sécurité pour les premiers en élevant leurs communautés au-dessus du droit privé, en leur donnant une personnalité juridique, […] et en leur conférant une autorité sur leurs membres ".

          Cette définition des corporations de métiers relève en partie d’une vision idéale du fonctionnement du système, reposant sur le bien du public. Or les statuts des métiers sont vite devenus un carcan tyrannique, imposant des conditions de travail et de production draconiennes à leurs membres. En contrepartie de cette sévérité excessive, les corporations protégent leurs affiliés en leur assurant le monopole de la production et de la vente des biens de leur spécialité sur le territoire de la ville.

          Dans ce but, le corps nomme un ou plusieurs jurés, gardes de la communauté, dont la fonction consiste à surveiller l’exercice du métier par les maîtres, mais aussi – et c’est souvent là que leur mission prend toute son ampleur – à poursuivre la concurrence sous toutes ses formes.

          Cette concurrence, forcément frauduleuse et illégitime, est traquée par les jurés des communautés de métiers à tous les niveaux possibles ; ils sillonnent la ville à la recherche de toute contravention aux règlement du métier, qu’elle soit commise par un membre du corps, d’un autre corps, par un marchand forain, ou toute autre personne.

          Lorsqu’une infraction est découverte, quelle que soit son importance, les jurés font dresser un procès-verbal par un commissaire de la ville, et intentent systématiquement une action en justice.

          Le contentieux généré par les communautés de métiers est un des traits caractéristiques du système corporatif. Un fait constant est que les corporations ont toujours poursuivi avec un rare acharnement les infractions à leurs statuts.

          Cette combativité des métiers jurés leur a parfois permis de survivre en renforçant les liens entre les membres du groupe face à un ennemi déterminé, comme dans le cas déjà évoqué des bonnetiers nantais. Mais elle est aussi la cause de l’endettement généralisé des corporations au milieu du XVIIIe siècle. Même si les jurandes gagnent la grande majorité de leurs procès, le coût de toutes ces procédures finit – dans les années 1770 – par sonner leur glas.

          Le XVIIIe siècle marque le déclin et la fin des corporations définitivement supprimées en 1791 par l’Assemblée Constituante.

          C’est à cette époque que se développe en France sous l’impulsion de Quesnay le courant physiocrate qui, reprenant la formule attribuée à Gournay " laissez faire, laissez passer ", est hostile à tous " les privilèges exclusifs ". L’action des physiocrates porte avant tout sur l’agriculture – ils considèrent qu’elle seule est source de la richesse qui se répartit à travers le corps social, et que de ce fait elle est une priorité – mais ils prônent aussi le libre échange et la libre circulation des grains.

          Ce courant, rattaché à l’Encyclopédie, va fortement influencer Turgot. En 1776, lorsqu’il accède au contrôle général des finances, il convainc Louis XVI de supprimer les communautés de métiers.

          L’édit de suppression des corporations rendu par le roi en février 1776, dont la rédaction est l’œuvre exclusive de Turgot, sera très mal accueilli par le Parlement de Paris. Le roi doit le contraindre à enregistrer la réforme par un lit de justice, le 12 mars 1776.

          Dans plusieurs provinces, cet édit ne sera jamais appliqué. Le Parlement de Rennes refusant de l’enregistrer, il n’est donc pas appliqué en Bretagne.

          Mais sous la pression des corps constitués et de la magistrature qui rejettent sa réforme, Turgot tombe en disgrâce ; il est remplacé le 12 mai 1776 par Bernard Clugny de Nuis. Ce dernier, s’attache immédiatement à préparer un nouvel édit qui vient remplacer à Paris les anciennes corporations, par " six corps de marchands et quarante quatre communautés d’arts et métiers ". Cet édit d’août 1776, rendu exclusivement pour les communautés de métier parisiennes, n’est, dans l’esprit de ses rédacteurs, que le premier pas vers une réforme générale des corporations, province après province.

          Le 17 juillet 1781, l’Intendant général de Rennes reçoit de M. de Tholozan, maître des requêtes, un projet d’édit sur la réorganisation des communautés d’arts et métiers de Bretagne, qui aboutit à créer plus de corps qu’auparavant. L’édit est signé par Louis XVI en octobre 1781 ; il n’est plus besoin que de son enregistrement par le Parlement de Bretagne pour permettre son application. Mais cette réforme soulève un tollé général. Le Parlement de Bretagne, éclairé par le rapport d’un avocat rennais, Guy Charles Le Chapelier, renonce le 18 janvier 1783 à enregistrer l’édit royal, et fait préparer un nouveau projet qui restera lettre morte.

          Les corporations seront définitivement supprimées par le décret du 14 juin 1791, inspiré par Isaac René Guy Le Chapelier, député du Tiers-état, fils de Guy Charles Le Chapelier.

           

        3. Les privilèges revendiqués par l’Hôpital général.
        4. De son côté, le Sanitat invoque un certain nombre de privilèges en relation avec le monde du travail.

          Le fondement de chacun de ces droits particuliers peut être un acte de puissance publique, comme par exemple le monopole de fourniture du personnel et des accessoires nécessaires à la pompe funèbre, concédé par une sentence du Sénéchal de Nantes du 9 août 1659.

          Mais il peut aussi s’agir de privilèges directement rattachés aux actes de fondation du Sanitat et liés à son statut d’Hôpital général de la ville. Dans ce cas, ce sont ceux dont disposent la majorité des hôpitaux généraux du royaume, à commencer par celui de Paris.

          Parmi ceux-ci est le droit pour le Sanitat de posséder des ouvroirs et des manufactures en son sein afin d’occuper ses pensionnaires et d’apporter un revenu à la Maison. Ce droit n’a jamais véritablement été remis en cause, il est commun à tous les hôpitaux généraux et la présence d’ateliers dans ces lieux est indissociable du programme d’éducation des pauvres mis en place par la monarchie dans les années 1650.

          Le souhait des administrateurs du Sanitat est en réalité que l’Hôpital puisse disposer de tout types d’ouvroirs et de manufactures, librement, sans contrainte, et surtout sans être soumis aux visites des gardes-jurés des corporations. En effet, les corps de métiers considèrent qu’ils ont la possibilité de visiter les ateliers du Sanitat pour contrôler le respect de leurs statuts et des ordonnances royales.

          Cette prétention de certaines corporations, en particulier des bonnetiers qui inspectent très régulièrement la manufacture de bas au métier de la Maison, occasionne de nombreux procès entre le Sanitat et les corps de métiers. Aussi les Directeurs des pauvres n’auront de cesse de demander d’être affranchis de cet assujettissement, notamment par des requêtes présentées au roi :

          Il seroit plus difficile de maintenir le bon ordre dans des mandians renfermés, sans leur procurer du travail, c’est la raison pour laquelle les suppliants demandent qu’il leur soit permis de soutenir et continuer les établissements des manufactures qui d’ailleurs produisent une ressource necessaire au soutient de l’hopital par la vente des ouvrages, mais l’on conçoit aisement qu’il seroit d’une dangereuse conséquence que les manufactures fussent sujettes aux visites des maitrises qui donneroient lieu a des procès journaliers...

          Mais la possibilité d’avoir des manufactures seule ne suffit pas, il faut pour les faire fonctionner, pour former la main-d’œuvre – c’est-à-dire les pauvres de la Maison – que l’Hôpital puisse avoir à demeure des artisans, des compagnons. C’est avant tout dans un but de formation des jeunes pensionnaires de la Maison que l’on trouve des artisans locataires de l’Hôpital général.

          Or, pour attirer les artisans, il faut leur offrir des avantages qu’ils ne trouveront pas ailleurs, notamment au sein des corps de métiers ; c’est dans ce sens que la requêtes des gouverneurs des pauvres au roi se poursuit : " L’on ne peut donner aucune perfection aux ouvrages si l’on n’attire dans l’hopital quelques compagnons de chaque métier lesquels ne voudront pas donner leur temps a instruire les mendians renfermés, si ils n’espèrent par la acquerir la maitrise, comme aussy ceux qui y seront un peu instruits ne voudront pas travailler pour l’hopital si le séjour qu’ils y feront ne leur tient pas lieu d’apprentissage, … ".

          Il est donc presque impossible pour l’Hôpital de rivaliser pied à pied avec les avantages offerts à leurs membres par les corporations, aussi très peu de maîtres viendront s’installer au Sanitat, ce qui explique que les artisans reçus dans la Maison seront toujours des compagnons du métier ; c’est-à-dire des personnes ayant achevé leur apprentissage auprès d’un maître, mais qui n’ayant ni fait chef-d’œuvre ni payé leur droit de réception à la communauté, ne sont pas maître du métier.

          La possibilité de faire travailler en son sein des compagnons sans l’autorité d’un maître est l’un des privilèges revendiqués par le Sanitat. Mais pour que ces compagnons aient envie de venir s’installer dans la Maison, encore faut-il qu’elle leur offre des perspectives attrayantes : c’est pourquoi les Directeurs des pauvres invoquent la possibilité de leur faire acquérir la maîtrise contre un service relativement long auprès de pauvres renfermés.

          De la même façon que les artisans doivent avoir intérêt à travailler pour l’Hôpital, il faut que les pensionnaires soient motivés ; aussi les directeurs souhaitent-ils que les enfants puissent légalement effectuer leur apprentissage auprès de ces artisans qui ne sont pas maîtres de leur métier ; que cet apprentissage soit validé et qu’ils acquièrent – au bout d’un temps plus ou moins long – la qualité de compagnon. De là, ils pourront ensuite eux-mêmes devenir maître soit en restant le temps fixé pour cela au sein de la Maison, soit en se faisant recevoir par une corporation selon les règles communes au métier (examen, chef-d’œuvre, et droit de réception).

          Ces dérogations aux privilèges des corporations sont justifiées par le Bureau en ces termes : " il n’est pas à craindre que ces établissements nuisent aux corps des maitrises de la ville parce que le delay est long, les compagnons ne pouvant devenir maitre que par six ans de service dans l’hopital et celuy qui aura commencé son apprentissage dans l’hopital ne pouvant devenir maitre que par dix années de service dans les six premières desquelles il ne devient que compagnon ".

          L’existence de privilèges de ce type est attestée dès le 22 avril 1656, puisque dans une déclaration Louis XIV fait, des compagnons qui épousent des orphelines de l’hôpital de la Miséricorde, des maîtres de leur métier à Paris. Par la suite, les Lettres patentes qui fondent les différents hôpitaux généraux contiennent des dispositions expresses qui autorisent ces dérogations au droit des corporations.

          En aucun cas les privilèges revendiqués par les Directeurs du Sanitat de Nantes ne sont le fruit de leur imagination ; il s’agit en général de ceux accordés par le roi aux autres hôpitaux généraux, soit de la province, soit du royaume. Les " pères des pauvres " ne font que réclamer les privilèges auxquels leur statut d’hôpital général de la ville, choisi pour le renfermement des mendiants valides, leur donne droit.

          Un autre privilège auquel prétend le Sanitat, qui est le corollaire de la présence de manufactures et d’artisans dans la Maison, est la possibilité de faire sortir et de vendre à l’extérieur de l’Hôpital tous les ouvrages et marchandises qui se fabriquent à l’intérieur de celui-ci.

          Or, si les communautés de métiers peuvent encore admettre la présence d’ouvriers pour enseigner aux enfants de la Maison, il leur est impossible de permettre la sortie et la vente en ville de ces marchandises produites en-dehors du cadre corporatif. La concurrence que ferait le Sanitat aux corporations nantaises leur est intolérable ; et surtout, elle priverait le public de la protection des règlements des métiers.

          C’est pourquoi certaines corporations vont mener contre le Sanitat une véritable guerre judiciaire, poursuivant inlassablement toutes les marchandises de leur spécialité qui sortent du Sanitat et faisant systématiquement appel des décisions rendues contre eux.

          Dans ce combat sans merci c’est la communauté des menuisiers nantais qui va le plus se distinguer ; elle produira les arguments juridiques les plus pertinents à l’encontre du Sanitat, et sera la plus près de réussir lorsque l’Hôpital général de Nantes se verra confirmer dans tous ses privilèges.

          En réalité, ce que revendiquent les " pères des pauvres " de Nantes, c’est simplement que le Sanitat soit une franchise à l’image des autres hôpitaux généraux où le droit commun ne s’applique pas. L’obtention par Lettres patentes de ce statut permettrait au Sanitat de lever toute ambiguïté sur l’étendue de ses privilèges.

           

        5. L’impossible conciliation du privilège.

        Il est évident que les privilèges allégués par le Bureau du Sanitat ne peuvent se concilier avec le monopole des corporations de métiers de la ville.

        Dès lors du moment que les " pères des pauvres " ont mis en œuvre la politique de travail des pensionnaires de la Maison, qu’ils ont fait appel à des artisans en-dehors du système corporatif, qu’ils ont attribué des certificats de maîtrise, et surtout qu’il ont commencé à vendre hors du Sanitat les biens produits en son sein, les communautés de métiers ont réagi en poursuivant tous les produits vendus en-dehors de l’Hôpital et en assignant à chaque infraction constatée l’artisan concerné.

        Tous les privilèges du Sanitat n’ont pas entraîné la même levée de boucliers de la part des métiers concernés, néanmoins, l’arrivée de l’Hôpital général sur un marché n’a jamais été accueillie avec plaisir de la part des professions concurrencées.

        Dans l’exemple déjà évoqué du privilège de fourniture du personnel et des accessoires utiles aux enterrements, il n’y a pas eu de contentieux de la part des marchands ciriers, lesquels se sont pourtant vus dépossédés de la production de certains produits. La raison de cette absence de combativité des ciriers est que le métier n’est pas érigé en jurande, il ne dispose en effet d’aucun statuts qui lui confèrent de privilèges. Sans privilège, il n’y a pas d’action possible, car pas d’intérêt à agir.

        Le Sanitat a pu jouir paisiblement de son monopole d’autant plus qu’il disposait pour celui-ci d’un titre.

        C’est lorsque le privilège revendiqué par le Sanitat s’oppose directement à un autre possédé sans ambiguïté par une corporation que la confrontation est inévitable : les menuisiers s’opposent à l’Hôpital sur la présence d’ouvriers en son sein, ils luttent aussi contre le monopole de fabrication de châsses ; les bonnetiers se défendent avec la dernière énergie contre la manufacture de bas au métier, ils attaquent non seulement son existence, la présence d’ouvriers dans la Maison, mais aussi la conformité des produits fabriqués aux édits royaux. D’autres corporations, comme les serruriers ne contestent pas la possibilité pour le Sanitat d’accueillir des ouvriers du métier pour former les enfants, mais ils n’acceptent pas que ceux-ci acquièrent la maîtrise sans faire le chef-d’œuvre ni payer de droit à la confrérie.

        Une requête de la corporation des maîtres menuisiers de Nantes auprès du Parlement de Bretagne du 17 février 1749 permet d’apprécier le préjudice subi par la communauté. La corporation se fait appelante d’une sentence du présidial de Nantes du 4 juillet 1747 :

        Dans ce proces il s’agit entre autres choses de scavoir s’il est permis aux sieurs directeurs et administrateurs du Sanitat d’avoir dans l’enclos de leur hopital tel nombre d’ouvriers menuisiers qu’il leur plaît en admettre. Il s’agit dis-je de scavoir si au prejudice de la communauté des Mes menuisiers de Nantes qui ont de grosses taxes et impositions a payer pour joüir du droit de maitrise, ces directeurs sont en droit de retirer chez eux autant d’ouvriers qu’il leur plait pour y demeurer et de les affranchir du droit de maitrise.

        Dans la plupart des cas, les administrateurs ont pris fait et cause pour l’ouvrier de la Maison et plaident pour lui par l’intermédiaire de l’avocat de l’aumône. C’est donc le Sanitat, et non ses artisans locataires, qui supporte les frais des procès.

        Il faut ajouter que l’Hôpital général n’est pas systématiquement défendeur dans les procès relatifs à la défense de privilèges. En effet, lorsque le Sanitat est sûr de son monopole, et qu’il est mesure de la prouver, les Directeurs des pauvres n’hésitent pas à user des mêmes méthodes que les maîtres des corporations pour défendre les intérêts de la Maison.

        Le Sanitat a notamment pratiqué une politique de provocation méthodique à l’encontre des menuisiers pour faire appliquer son monopole de fourniture des châsses.

        Le Sanitat est de plus particulièrement attentif à maintenir sa position de seul établissement habilité à recevoir des pauvres – et par conséquence des aumônes – dans la ville. Les administrateurs de l’Hôpital semblent considérer qu’ils bénéficient d’un monopole de "l’accueil" des pauvres dans la ville. L’enjeu de cette exclusivité est l’attribution de la charité publique, ce qui représente un bénéfice non négligeable pour la Maison.

        En 1698, les dons et aumônes ont rapporté 2 569 livres à l’Hôpital général, soit environ 7 % de son budget annuel.

        Lorsque les Directeurs des pauvres apprennent, en janvier 1704, que la demoiselle de la Bourdonnaye a déposé devant l’Hôtel de Ville une requête afin d’être autorisée à fonder une communauté dont elle serait la Supérieure et dans laquelle on recevrait des " pauvres filles " à qui on apprendrait à travailler à toutes sorte d’ouvrages féminins ainsi qu’à lire et à écrire, ils forment une " profonde opposition " contre ce projet qu’ils considèrent comme " préjudiciable au bien de l’hopital general que Sa Majesté a voulu dans sa ville de Nantes ".

        L’opposition formée avec force par le Bureau du Sanitat emportera la décision du corps de ville qui ne permettra pas ce nouvel établissement.

        Comme les corporations de métiers, mais cette fois-ci sur le terrain de la charité, ce que les " pères de pauvres " redoutent le plus, c’est la concurrence. La maison que souhaite établir la demoiselle de la Bourdonnaye ne bénéficiera que d’un apport de 12 000 livres pour sa fondation ; par la suite, elle fonctionnera grâce aux aumônes. Or, cela les administrateurs de l’Hôpital ne peuvent l’accepter, ils subissent déjà la concurrence de deux autres institutions – les filles pénitentes et celles du Bon-Pasteur – et ne peuvent supporter la création d’un établissement supplémentaire.

        Pourtant, la situation nantaise nécessitait la création d’un nouvel établissement pour accueillir les femmes, surtout depuis la fermeture en 1702 de la Retraite des filles de Sainte-Madelaine, fondée à la fin du XVIIe siècle par André Mortier de Romainville, secrétaire du Bureau du Sanitat. Les établissements des filles pénitentes et du Bon-Pasteur, créés respectivement en 1672 et 1700 ne permettaient pas l’accueil dans de bonnes conditions de toutes les femmes.

        Ce n’est qu’en 1723, après de nombreux troubles liés à la présence en ville de filles de mauvaise vie, que le Bureau de l’Hôpital général élèvera un nouveau bâtiment réservé aux filles, préservant ainsi son monopole sur la misère.

         

      3. L’ambiguïté des titres du Sanitat.
      4. Dans le contentieux qui l’oppose aux différentes corporations de métiers nantaises, le Sanitat est à plusieurs reprises sommé de prouver ses privilèges, la Cour lui demande de présenter ses titres.

        Mais, ce qui semble être une simple formalité va devenir un véritable casse-tête pour les Directeurs des pauvres. En effet, ces titres sont introuvables, et le doute naît sur leur existence.

        Dès cette découverte, l’urgence d’une "confirmation" de ceux-ci se fait sentir ; et les administrateurs de la Maison n’auront de cesse, à partir du début du XVIIIe siècle de demander ces Lettres patentes qui leur manquent tellement.

        Celles-ci ne seront finalement obtenues qu’en février 1760, soit plus de trente cinq ans après le début de la procédure d’obtention !

         

        1. La nécessité de prouver les titres de l’institution.
        2. Dans les premières années de sa fondation en tant que dépôt de mendicité, le Sanitat a pu jouir et défendre ses privilèges sans véritable difficulté.

          Cela ne signifie pas qu’il n’y a pas dès 1650 une opposition de certains corps de métiers aux monopoles du Sanitat ; au contraire, les litiges apparaissent en même temps que les privilèges commencent à être revendiqués et exercés par l’Hôpital. Mais force est de constater que l’établissement remporte facilement les procès qui l’opposent au monde du travail.

          Il y a plusieurs arguments qui viennent justifier cette facilité : d’abord les juridictions sont favorables à l’institution, laquelle reflète la volonté royale, et a pour elle toutes les apparences du droit.

          Rappelons-le une fois de plus, certains privilèges du Sanitat sont réels, l’Hôpital dispose pour les prouver de titres, Lettres patentes de confirmation ou décisions souveraines. Dans ces quelques cas, il n’y a pas d’ambiguïté, les " pères des pauvres " peuvent en jouir en toutes légitimité et légalité.

          La difficulté apparaît pour les privilèges et monopoles que le Sanitat prétend tenir de son statut d’hôpital général de la ville de Nantes.

          Dans ce cas, la preuve du privilège doit résulter de celle du statut de l’établissement, ce qui a priori, ne doit pas poser le moindre problème.

          Or les administrateurs de l’Hôpital tardent à présenter ces documents pourtant essentiels pour prouver ne serait-ce que l’existence de l’institution. Ils mettent même un telle mauvaise volonté que les magistrats du Parlement de Bretagne s’en émeuvent et somment l’Hôpital général de Nantes de représenter ses actes de fondation dans un arrêt du 9 mars 1723.

          Dans cette affaire, le Procureur Général du Roi a requis que le Sanitat puisse abriter des ouvriers, les faire travailler et vendre leur ouvrages librement, sans avoir a subir les tracasseries des maîtres des corps de métiers de la ville, " Comme il se pratique pour l’Hôpital General de cette Ville de Rennes, qui a eté maintenu dans ce droit par les Arrêts que la Cour a rendu à ce sujet ".

          Les magistrats admettent les arguments des Directeurs des pauvres de Nantes et se rangent derrière les réquisitions du Procureur Général, mais uniquement à titre provisoire puisqu’ils enjoignent les administrateurs du Sanitat de produire leurs titres : " La Cour faisant droit sur les Remontrances & Conclusions du Procureur General du Roy, a ordonné que les Lettres d’établissement du Sanitat ou Hôpital General de Nantes, seront incessamment répresentés par les Directeurs, pour sur la vûë d’icelles, être ordonné ce qui sera vû apartenir ".

          Est-ce la méfiance de la Cour qui se fait sentir dans cet arrêt ? Les magistrats du Parlement ont-ils conscience que l’Hôpital général de Nantes est dans l’impossibilité de produire un quelconque document attestant de sa fondation et de son statut d’Hôpital général ? Ont-ils voulu mettre les administrateurs du Sanitat au pied du mur, ou pensaient-il en toute bonne foi que cette condition serait une simple formalité ?

          La réponse à cette question est difficile à fournir… Pourtant il serait étonnant que les parlementaires aient voulu déstabiliser les administrateurs du Sanitat et mettre en péril l’institution en leur imposant une condition impossible à remplir.

          Toujours est-il que les corporations de métiers vont se précipiter dans la brèche ouverte par le Parlement de Bretagne.

          Voyant que les Directeurs du Sanitat mettent du temps à obtempérer, elles vont commencer à se douter de l’inexistence des titres et à harceler les administrateurs de l’Hôpital.

          Dans une requête du 17 février 1749, les maîtres menuisiers font appel d’une sentence du Présidial de Nantes du 4 juillet 1747 et se forment aussi opposition de l’arrêt du Parlement du 9 mars 1723 : Rappelant que la Cour, dans cet arrêt, a ordonné que les Directeurs de l’Hôpital général pourront jouir de leur privilège à condition de présenter les lettres d’établissement du Sanitat, les suppliants signalent que cela n’a jamais été fait. Ils demandent cette présentation et ajoutent " Il n’en faut pas davantage sans doute pour s’assurer que les Sieurs directeurs et administrateurs de l’hôpital général de Nantes sont a tous egard exclus du droit et du privilège qu’ils prétendent, et qu’il ne peuvent pas jouir même du plus réservé et du plus borné ".

          Dans leurs " Observations sur l’Écrit de Griefs signifié le 17 février 1749 par la Communauté des maitres menuisiers de Nantes appelant de sentence rendue en la juridiction de la Police de Nantes le 4 juillet 1747, et opposant en tant que besoin a l’arrest de la Cour du 9e mars 1723 " les Directeurs des Pauvres stigmatisent la haine et la jalousie des menuisiers, leur répondent point par point, mais ne touchent pas un mot de la question – certainement difficile – de leurs propres statuts.

          La violence de ce texte de huit pages envoyé au Parlement le 16 avril 1750 cache difficilement l’embarras dans lequel se trouve le Bureau du Sanitat.

          Dans l’attente d’une décision définitive en leur faveur, les Menuisiers de Nantes continuent leurs procédures, multiplient les mémoires et les requêtes.

          Le 23 juillet 1757 un premier mémoire de quatorze pages est envoyé au Parlement de Rennes dans lequel la communauté des menuisiers y attaque une fois de plus le Sanitat : " Sous le cours de la poursuite des apellations, la communauté a mis une Requête en la Cour, pour que le Sanitat eût à représenter ses Lettres d’Etablissement ; le Sanitat forcé de s’expliquer, a déclaré qu’il n’en avoit point. Il a simplement produit l’arrêt de 1723, et un Arrêt du Conseil du 19 février 1725 qui ordonne que le Sanitat sera gouverné par de nouveaux Directeurs, suivant ses usages et coutumes ; il a aussi mis au procès un projet de Lettres-Patentes présenté en 1750, et qui n’a jamais eu d’effet ".

          Dans une addition à ce premier mémoire, signifiée le 4 août 1757, les menuisiers rajoutent :

          Le Sanitat est-il fondé en titre pour s’attribuer le privilège qu’il réclame ? Il s’en faut beaucoup ; il n’a pas même de Lettres Patentes ; & quand il en auroit, il seroit encore nécessaire, pour qu’il pût jouir de privilèges, qu’ils lui fussent expressément concédés.

          Le projet [de Lettres patentes] que le Sanitat a produit, est une paperace qu’il faut rejetter. On y a mis tout ce qu’on a voulu, sans y apeller les Communautés d’Arts & Métiers. C’est même un titre d’exclusion contre l’Hopital de Nantes ; car depuis trente ans qu’on sollicite l’expédition de Lettres Patentes, le Conseil n’a jamais voulu donner son autorité au modèle qu’on a présenté, sans doute pour ne pas donner atteinte aux Statuts & Privilèges des Communautés.

          A partir de cet aveu de l’Hôpital général, la sanction ne se fera pas attendre longtemps, et par un arrêt du 11 avril 1758 le Parlement de Bretagne rapporte son précédent arrêt du 9 mars 1723, et condamne l’Hôpital général de Nantes.

           

        3. Des actes de fondation à caractère privé.
        4. La vulnérabilité de l’Hôpital général transparaît dans l’appréciation que Léon Maître donne à propos du règlement du 31 décembre 1650 : " Cette organisation n’ayant été soumise à l’approbation d’aucune autorité supérieure, fut plus d’une fois entravée dans sa marche… ".

          L’aveu des Directeurs du Sanitat devant le Parlement de Rennes seul suffit à prendre la mesure du problème : le Sanitat n’a aucune existence légale !

          Léon Maître est relativement flou sur l’érection du Sanitat en tant qu’hôpital général, il se borne à dire : " La mairie consentit donc en janvier 1650, à ce que le Sanitat avec son désairement et tous ses meubles fût transformé en dépôt de mendicité, en se réservant toutefois la faculté de faire évacuer l’établissement si la peste apparaissait de nouveau. La peste n’étant pas revenue, le Sanitat est resté Hôpital général, cependant il n’a pris cette dénomination dans le public qu’en 1677 ".

          Pendant plus d’un siècle, de 1650 à 1760, le Sanitat s’est comporté en tant qu’Hôpital général, sans en avoir la qualité ni légalement le titre.

          Le combat victorieux mené par les menuisiers n’est pas la seule opposition à laquelle les administrateurs du Sanitat ont dû faire face. Au début des années 1720, les serruriers ont vivement attaqué les artisans de la Maison, multipliant les procédures et les saisies d’ouvrages. C’est en particulier à la suite de ces poursuites que le Parlement de Bretagne rend l’arrêt du 9 mars 1723 qui " fait défenses aux Maîtres Jurés des Arts & Métiers & à tous autres d’arrêter & confisquer les Ouvrages qui se fabriquent dans l’Hôpital General, dit Sanitat, de Nantes sous peine du quadruple ".

          C’est cet arrêt qui fait prendre conscience aux Directeurs du Sanitat de la nécessité d’obtenir des Lettres patentes royales. Ils ne peuvent plus se contenter d’alléguer leurs privilèges, comme dans une supplique au Lieutenant général de police de Nantes, daté du 21 janvier 1723, soit moins de deux mois avant le fameux arrêt de la Cour : " Disant que le Sanitat est dans une possession immemorialle & aussy ancienne que sa fondation, d’avoir dans la premiere cour des ouvriers de differents metiers. Lesquels jouissent du privilege des maitres pendant qu’ils travaillent dans la maison et mesme apres qu’ils en sont sorties ".

          La possession immémoriale ne suffit plus, désormais il faut des titres, des actes qui fondent le privilège.

          La procédure d’obtention de Lettres patentes, commencée après l’arrêt du 9 mars 1723, est très longue, et pendant ce délai, la corporation des serruriers tente de contrer les efforts des Directeurs de l’Hôpital en faisant inclure le privilège du Sanitat dans ses propres statuts.

          En 1737, les serruriers nantais font renouveler leurs statuts qui datent de 1645. Le projet prévoit un article XXVII interdisant au Sanitat " d’avoir plus d’un ouvrier pour l’instruction desdits enfants bleus, et il sera tenu de souffrir la visitte des jurés, et la marque dudit metier de serrurerie, de plus les ouvrages qui seront fabriqués seront sujets à confiscation, s’ils ne sont pas dans la qualité requise et si dans la fabrication on est contrevenu aux presents statuts ". Le projet vise donc à anéantir le privilège du Sanitat puisqu’il soumet le serrurier de la Maison aux règles corporatives. Le juge prévôt de Nantes, appelé à se prononcer sur ce projet de statuts, propose – le 1er juin 1737 – que le nombre d’ouvriers du Sanitat soit fixé à un ou deux de chaque métier.

          Nous ne savons pas si ces statuts seront enregistrés et appliqués, Édouard Pied ne les cite pas parmi ceux des serruriers nantais, et par la suite aucune procédure n’y fait référence, or il est évident que s’ils s’étaient appliqués, ils auraient été largement utilisés par le corps contre l’Hôpital. Il faut donc croire qu’ils sont restés à l’état de projet.

           

        5. La difficile obtention de lettres patentes.

      Nous avons vu que l’arrêt de la Cour du 9 mars 1723 a entraîné une prise conscience de la part des Administrateurs du Sanitat.

      Dans les mois qui ont suivi cet arrêt, ils ont préparé un premier projet de Lettres patentes intitulé " Établissement de l’hôpital général de la ville de Nantes ". Ce texte est envoyé au roi sous le patronage de l’Évêque de la ville, du Maréchal d’Estrées et de l’Intendant.

      Ce projet, quoique relativement court, est une véritable constitution de l’Hôpital général de la ville, il énumère ses missions, son administration, ses moyens, et particulièrement ses privilèges.

      Parmi les membres du Bureau, il prévoit trois " directeurs-nés " : l’Évêque, le grand Bailli et le Maire de la ville de Nantes. Ceux-ci se voient adjoindre quatre des principaux bourgeois ou marchands de la ville. Pour ces derniers, trois noms sont cités : René Montaudouin, Louis Jonau et N. Bouchaud.

      En ce qui concerne les privilèges de la Maison, deux articles proposent de valider le statu quo actuel : " Leurs donnons, droit et pouvoir de faire fabriquer toutes sortes de manufactures et de les faire vendre au proffit desdits pauvres sans estre sujets a visitte ny aucun droit imposé ou à imposer & sur ce que Paul Benjamin Pillet nous à esté proposé comme capable de conduire & regir les manufactures, nous l’avons nommé et estably, nommons & establissons pour économe et directeur desdits manufactures dans ledit hopital sa vie durante ".

      Le second article concerne le privilège de maîtrise des ouvriers du Sanitat : " Voulons que les compagnons de mestier qui auront servy audit hopital six ans pour apprendre les enfants acquierent le droit de maistrise en leur corps sur les certifficats qui en seront donnez par le Bureau, Comme aussy les pauvres enfans des deux sexes qui auront servy & travaillé dans ladite manufacture tout le temps de leurs apprentissages qui sera fixé ; pour l’ordinaire, jusqu’à ce qu’ils ayent atteint l’aage de vingt ans seront réputez estre compagnons ".

      Ces deux articles doivent permettre au Sanitat de satisfaire les conditions de l’arrêt du 9 mars 1723, et de lever toute ambiguïté sur l’existence de ses privilèges.

      Mais il faut croire que le Conseil du roi n’a pas jugé la rédaction de Lettres patentes si urgente, puisque la réponse envoyée au Bureau du Sanitat se fera sous la forme d’un Arrêt du Conseil, en date du 19 février 1725.

      De plus, loin de confirmer les privilèges du Sanitat, cet arrêt se borne à établir un nouveau Bureau à l’Hôpital général, composé de " cinq députez néz ", à savoir l’Évêque, un membre du Chapitre, un du Présidial, un de la Chambre des comptes, et un de l’Hôtel de Ville ; et de huit " directeurs élus ", nommés par le Bureau de l’hôpital général pour quatre années et renouvelables par moitié. Les premiers nommés par le roi sont : le comte de Rezé, de Saint-Aignan, de Montaudouin, Danguy, Bouchaud, Laurencin, Michel Grillo, et Ernoul.

      Aucune disposition de l’arrêt ne permet aux administrateurs du Sanitat de satisfaire aux conditions de l’arrêt de la Cour du 9 mars 1723, seule la dernière phrase est susceptible de laisser un peu d’espoir aux Directeurs des pauvres : " Veut au surplus Sa Majesté, que la maison soit gouvernée par les nouveaux directeurs, suivant les mesmes règles et coutumes qu’elle l’a été par le passé ; et seront sur le présent arrest, toutes lettres patentes expédiées si besoin est ".

      Peut être que la demande du Bureau n’a pas été suffisamment claire, et que le Conseil du roi a compris qu’il fallait une nouvelle direction à la Maison, et non des titres.

      Dès les mois qui suivirent cet arrêt, les Directeurs de la Maison ont expédié une nouvelle requête au roi, plus claire, plus précise.

      L’arrest du 19 février 1725, porte par une disposition finalle que toutes lettres patentes necessaires pour son execution seroient expédiées. Quelques difficultés dont il seroit inutiles de parler icy ont empesché l’expedition des lettres patentes, mais le deffaut d’en avoir obtenu a donné lieu a divers procés qui ont esté intentés par les préposés au recouvrement des deniers qui se [un mot illisible] dans la province et même par les communautés d’arts et métiers qui ont voulu assujettir l’hopital a divers droits sous pretexte des manufactures qu’il a fallu establir dans la maison pour pouvoir soutenir les mandians renfermés et leur y donner de l’occupation et du travail.

      Le texte, sans date, rappelle la nécessité impérieuse de confirmer les privilèges du Sanitat en matière de manufactures et de travail des artisans locataires de la Maison.

      Mais cette requête est restée lettre morte, puisqu’il n’y a nulle part trace d’une quelconque réponse du Conseil du roi.

      Après l’échec de ces deux premières tentatives, le Bureau du Sanitat laisse passer quelques années avant de représenter un projet au roi.

      A la fin de l’année 1749, les administrateurs de l’Hôpital général entament une nouvelle procédure pour l’obtention de Lettres patentes. Cette fois, l’affaire est prise très au sérieux, un premier projet manuscrit est préparé et envoyé aux divers corps de la ville pour consultation.

      Toutes ces institutions renvoient le projet accompagné de leurs remarques : les officiers du Présidial, le Chapitre de l’Église cathédrale de Nantes le 28 février 1750, les Maire et échevins de Nantes le 7 juin 1750, tous répondent et proposent leurs observations.

      Un second projet, imprimé cette fois, et tenant compte des remarques des divers corps, est préparé et renvoyé une nouvelle fois aux corps constitués pour approbation.

      Les seules remarques qui aient été faites par les corps viennent de l’Évêque qui propose un règlement particulier pour les aumôniers de la Maison.

      Une fois la procédure mise en place au plan local terminée, le Bureau ordonne un dossier composé de onze pièces cotées de A à L qui est expédié au Conseil du roi :

      A Premier projet manuscrit, communiqué aux corps et compagnies de la ville de Nantes, sur lequel ils ont donné leurs observations.

      B Délibération et observations des Maire et Échevins de la ville de Nantes, arrêtées le 7 juin 1750.

      C Observations et avis du Chapitre de l’Église cathédrale de Nantes, arrêtés le 28 février 1750.

      D Observations des officiers du Présidial de Nantes (sans date).

      E Arrêt provisoire du Parlement de Bretagne du 9 mars 1723.

      F Projet imprimé des Lettre patentes, réformé sur les observations ci-dessus, communiqué de nouveau aux corps et compagnies de la ville.

      G Arrêt du Conseil d’État du roi du 19 février 1725.

      H Lettres patentes d’établissement de l’Hôpital général de la ville de Rennes, au mois d’avril 1679.

      I Autres de l’Hôpital général de Morlaix en novembre 1686.

      K Autres de l’Hôpital général d’Angers, en août 1672.

      L Autres de l’Hôpital général de Lyon, en avril 1716.

      Outre ces pièces qui constituent cette fois un dossier particulièrement complet, il semble que le Bureau du Sanitat ait dépêché à Paris pour défendre la nécessité d’octroyer des Lettres patentes à l’Hôpital général de Nantes un messager influent en la personne de l’Évêque de la Ville.

      En effet, à la lecture du dossier constitué par les administrateurs des pauvres, il apparaît sur une pièce la mention manuscrite : " Cet article a été rajouté de la main de M. l’Évêque lorsqu’il étoit à Paris ". Il est peut être osé d’en déduire que ce voyage servait expressément l’intérêt des pauvres, mais il est indéniable que lorsqu’une affaire de cette importance devait être présentée au roi, il était de coutume d’envoyer en même temps que le dossier un émissaire susceptible de plaider efficacement sa cause.

      En plus du soutien de l’Évêque de Nantes, les administrateurs du Sanitat ont cherché la protection d’un personnage "haut placé", pouvant influer sur la décision royale.

      Dans un " Mémoire pour les Pauvres de l’Hopital General de Nantes ", adressé à " Son Éminence ", les administrateurs du Sanitat présentent la situation de la Maison au regard de ses privilèges. Ils montrent comment par leurs visites quotidiennes les jurés des corporations, particulièrement des bonnetiers, tentent de remettre cette franchise en cause, et de " dégouter " ceux qui travaillent dans la Maison. Ils expliquent le péril dans lequel se trouve l’Hôpital si le roi ne lui accorde pas les privilèges dont tous les hôpitaux généraux du royaume bénéficient.

      Le mémoire de quatre pages se termine par une demande de protection en ces termes : " Les administrateurs reclament sur cela Monseigneur la protection de Son Eminence pour le bien des pauvres et la bienséance d’une administration gratuite qui n’a d’autre principe que celuy de la Charité. […] En attendant que Son Eminence veille bien permettre aux administrateurs de luy adresser le projet de celles [les Lettres patentes] qu’ils se proposent de demander sous son bon plaisir a Sa Majesté ".

      La demande de Lettres patentes adressée au roi réuni donc tous les gages de la réussite ; ne laissant rien au hasard, les membres du Bureau ont soigneusement sélectionné les documents contenus dans leur dossier.

      La liasse H 703 des Archives Départementales de Loire-Atlantique contient une réfutation du projet de Lettres patentes, sans date ni signature, mais vraisemblablement rédigée par les corps de métiers, et qui évidemment n’a pas été jointe au dossier transmis au Conseil du roi.

      Les corps de métiers attaquent de front le projet du Bureau de l’Hôpital, ils crient à l’injustice et montrent que l’octroi des privilèges demandés par le Sanitat entraînerait la ruine de l’État et du roi, lequel ne pourrait plus compter sur le soutien des jurandes qui lui sont tellement utiles. Ils développent en outre un argumentaire sur le rôle des corporations de métiers dans la protection du public, et pointent le danger d’établir un lieu de franchise aussi étendu que le Sanitat.

      Les menuisiers de Nantes auront aussi l’occasion de s’exprimer sur ce projet dans un mémoire déjà cité du 23 juillet 1757, et dans une addition à ce premier mémoire, signifiée le 4 août 1757, dans lesquels ils traitent le projet de Lettres patentes de " paperace qu’il faut rejeter ".

      Il semble que même le Parlement de Bretagne se déclare contre le Sanitat, puisque dans un arrêt du 11 avril 1758 il rapporte son précédent arrêt du 9 mars 1723, et condamne l’Hôpital général de Nantes.

      Mais cette fois les efforts des administrateurs du Sanitat ne seront pas vains puisque en février 1760, le roi donne à l’Hôpital général de Nantes les Lettres patentes tant attendues.

      Ces statuts qui confirment l’Hôpital dans tous ses privilèges et monopoles constituent une immense victoire pour les " pères des pauvres " qui vont enfin pouvoir rentrer dans leurs droits.

      L’article XVII des Lettres patentes confirme le droit exclusif du Sanitat de faire et vendre les châsses pour les enterrements ; l’article XVIII celui de faire porter les torches et autres luminaires aux enterrements par les enfants de la Maison.

      L’article XX constitue une partie du triomphe du Bureau : " Donnons droit & pouvoir aux Administrateurs d’établir dans l’intérieur de la Maison du Sanitat des Manufactures pour la Fabrique de toutes espèces de Marchandises permises, & de les faire vendre et débiter en gros ou en détail, soit au dedans, soit au dehors, au profit dudit Hôpital, sans être sujets à aucuns Droits mis & à mettre, ni aux Visites des Jurés des Corps d’Arts & Métiers de la Ville et Fauxbourgs de Nantes. Seront tenus néanmoins de souffrir la Visite de l’Inspecteur des Manufactures pour laquelle il ne sera payé aucun Droit ".

      L’article XXI permet le travail dans le Sanitat des ouvriers : " Permettons à tous Ouvriers, Artisans & Fabriquans, Maîtres ou non Maîtres, enseignant leur Métiers aux pauvres Enfans de l’Hôpital, & qui seront Locataires dans les Cours extérieures dudit Hôpital, de travailler, fabriquer, porter ou faire porter leurs Marchandises & Ouvrages, pour les vendre en gros ou en détail, à leur profit, dans les Maisons, Ruës & Places de la Ville et Fauxbourgs de Nantes, en se faisant néanmoins accompagner d’une des Enfans bleu dudit Hôpital ; avec défenses aux Maîtres Jurés des Arts & Métiers, ainsi qu’à tous autres de les troubler dans leur Commerce, de les arrêter & confisquer, sous les peines du quadruple, … ".

      Une atténuation est néanmoins mise à la totale liberté des artisans locataires du Sanitat qui doivent souffrir les visites dans leurs ateliers des jurés des corps d’arts et métiers, sous peine de 3 000 livres d’amende en cas de refus (article XXII).

      Enfin, dernier privilège lié au travail dans la Maison, les statuts prévoient que les pauvres qui ont servi quatre ans dans la Maison seront réputés compagnons, et que les ouvriers qui auront enseigné au enfants pendant six ans acquerront la maîtrise sur simple certificat des Directeurs de l’Hôpital général (article XXIII).

      Les corps d’arts et métiers ne vont pas attendre l’enregistrement de ces Lettres patentes par le Parlement de Rennes pour réagir : la communauté des fabricants de bas au métier et bonnetiers, à laquelle se joignent celles des menuisiers, des cordonniers, des cloutiers, des serruriers, des vitriers, des taillandiers, des celliers, et des corroyeurs, forment opposition à l’enregistrement des Lettres patentes en l’état devant le Parlement. Les magistrats rennais rejettent ces objections dans un arrêt de la Cour du 10 mars 1761.

      Finalement, le Parlement de Bretagne enregistre les Lettres patentes de l’Hôpital général de Nantes le 22 mai 1761.

      Dès lors, toutes les procédures intentées par les communautés de métiers contre le Sanitat n’ont plus lieu d’être, et l’établissement peut jouir paisiblement de ses privilèges et monopoles.

      Mais ces Lettres patentes ne vont pas mettre un terme au contentieux qui oppose l’Hôpital général aux jurandes ; au contraire, ce serait sans compter avec l’esprit de chicane tellement caractéristique des mœurs de l’Ancien Régime.

      Sûrs de leurs monopoles et de leur droit, les administrateurs du Sanitat vont désormais passer à l’offensive et pourchasser les maîtres des corporations qui transgressent leurs privilèges. Ce nouveau contentieux prendra un aspect particulièrement dur à l’encontre des maîtres menuisiers qui – pour des raisons familiales – empiètent sur le monopole de fourniture des châsses du Sanitat.

       

    3. Le contentieux de l’exercice des métiers.
    4. La lutte pour le respect des privilèges, des monopoles des uns et des autres ne prend pas la forme d’un contentieux de fond, attaché à la défense de principes juridiques et de grandes théories comme l’intérêt du public ou de l’État. Lorsqu’ils apparaissent, ces arguments sont tout à fait accessoires et dissimulent mal la réalité du combat.

      La véritable guerre que se livrent les jurés des corps de métiers et les administrateurs du Sanitat est – au contraire – tout à fait pragmatique. Les moyens utilisés sont les instruments de la chicane au quotidien, le harcèlement continu des ouvriers. Le but de ces manœuvres est, s’il n’est pas possible de leur interdire formellement, au moins de les empêcher d’exercer leur métier.

       

      1. L’esprit de chicane : les visites.
      2. Parmi les moyens dont disposent les jurés des corporations pour faire respecter leurs statuts, il en est un souverain, qui permet l’examen le plus exhaustif de l’ouvrier contrôlé, qui est la visite.

        Les visites des jurés permettent ainsi de vérifier non seulement la boutique et l’atelier de l’artisan, mais encore son domicile, souvent attenant au lieu de travail. Le contrôle porte donc non seulement sur la vie professionnelle, mais aussi sur la vie privée, les gardes-jurés ne se privant pas de faire remarquer tout dérèglement visible.

         

        1. Le droit de visite.
        2. La visite d’un atelier est le moyen essentiel dont disposent les jurés d’une corporation afin de contrôler le travail. Ces visites se font suivant une procédure arrêtée par les statuts du métier, et qui prévoit le plus souvent que deux jurés de la communauté accompagnés d’un commissaire de police de la ville visitent à l’improviste la boutique et l’atelier d’un maître du métier. Souvent les règlements indiquent la périodicité des visites, et l’obligation pour les maîtres de s’y soumettre.

          Le droit de visite est une disposition de police interne au métier, il existe avant tout vis-à-vis des membres de la corporation. Ceux-ci sont ainsi régulièrement contrôlés par leurs propres jurés, et tout aussi régulièrement sanctionnés.

          En-dehors du cadre strictement corporatif, ce droit de visite s’étend à toutes les marchandises produites ou vendues dans la ville qui ressortissent de la compétence du métier. Ainsi, les jurés des fripiers peuvent-ils visiter les boutiques tenues par les brocanteuses et saisir les marchandises défectueuses au regard de leurs statuts ou qu’elles n’ont pas le droit de vendre.

          Mais ce droit de visite s’étend encore au-delà des métiers jurés ou même des métiers libres comme les brocanteuses ; certaines visites sont dirigées vers les artisans qui œuvrent dans les "lieux privilégiés" de la ville, parmi lesquels se trouve le Sanitat.

          Dans ce dernier cas, le droit pour les jurés d’un métier de faire leurs visites ne va pas de soi, et il leur faut souvent batailler pour pouvoir franchir les portes de la Maison ou de l’atelier de l’artisan locataire.

          Lieu privilégié, dans lequel s’applique une franchise, l’Hôpital général est très réticent à laisser pénétrer les corporations de métiers avec lesquelles les relations ont toujours été conflictuelles. La Supérieure tente généralement de repousser les jurés dès la porte de la Maison, ce à quoi elle parvient rarement, ensuite le commissaire de semaine, s’il est présent et prévenu de l’arrivée des jurés, tente de s’interposer, en exigeant notamment une décision du juge de police pour autoriser la visite ainsi que la présence d’un commissaire de police pour garantir la sincérité du procès-verbal qui ne manquera pas d’être dressé. Enfin, le dernier rempart à la visite est l’artisan lui-même qui refuse généralement de laisser entrer les jurés dans sa boutique. Généralement armé de ses outils, lui seul dispose des moyens capables d’arrêter les jurés, lesquels sont souvent réduits à dresser un procès-verbal de carence. Parfois, lorsque son mari est absent, c’est la femme de l’artisan qui s’interpose et empêche la visite à force de cris et d’insultes, ce qui entraîne aussi un procès-verbal de refus.

          Le droit de visite des jurés dans les lieux privilégiés est effectivement contestable : en donnant une franchise à une institution ou à un lieu, le roi n’a-t-il pas justement voulut le faire échapper à la rigueur des règlements corporatifs ?

          C’est là un aspect juridique important du débat qui oppose les corporations au Sanitat. L’Hôpital général, se considérant comme un lieu de franchise refuse les visites des jurés des communautés de métiers, argumentant que de par son statut privilégié, il n’a pas à les souffrir.

          De leur côté, les jurandes considèrent les artisans locataires du Sanitat comme des forains, c’est-à-dire des travailleurs hors du système corporatif de la ville, mais qui – dès lors qu’ils travaillent ou vendent des marchandises du métier sur le ressort de la corporation – sont assujettis aux règlements locaux et doivent se faire agréer par les jurés et se soumettre à leurs visites.

          Pendant longtemps, tout l’enjeu du débat a consisté à savoir comment qualifier les artisans locataires du Sanitat.

          C’est incidemment, à l’occasion d’une affaire interne au corps des bonnetiers nantais, que le Conseil du roi va trancher la question des visites dans les lieux privilégiés.

          Le 17 septembre 1734, les jurés du corps des bonnetiers et fabricants de bas au métier se rendent à la boutique de Mathurin Saget maître de leur corps afin d’effectuer une des quatre visites annuelles obligatoires. La visite des bas montés sur les métiers se déroule normalement, sans qu’aucune infraction aux règlements ne soit relevée ; ensuite, les jurés demandent à examiner les marchandises mises à la vente dans sa boutique, ce que Saget refuse, visiblement sans ménagement pour les jurés, il leur oppose qu’ils n’ont aucun droit pour cela, étant donné qu’il y a des marchandises qu’il fait venir d’autres villes du royaume, qu’en conséquence il ne les a pas fabriquées lui-même et ne peut donc être contrôlé pour ces articles. Les Jurés, face au refus de Saget, dressent un procès-verbal de carence et intentent une action contre lui pour avoir refusé la visite.

          L’arrêt du Conseil qui tranche cette affaire se fonde sur un autre arrêt du Conseil en date du 30 mars 1700, concernant la fabrique des bas et autres ouvrages de bonneterie au métier, qui impose aux jurés de bonnetiers de faire quatre visites annuelles dans toutes les boutiques et lieux privilégiés où se font et se vendent des articles de bonneterie.

          Le dispositif de l’arrêt du 11 janvier 1735 est clair et sans ambiguïté, il impose à tous ceux qui travaillent ou vendent des marchandises de bonneterie de subir les visites des jurés du corps des bonnetiers :

          Veut Sa Majesté que les Jurez des fabriquants de bas & autres ouvrages de bonneterie au métier de la Ville de Nantes, puissent faire, quand bon leur semblera, des visites chez les maîtres fabriquants de leur Communauté, chez les particuliers privilegiez, & les ouvriers travaillant à la fabrique desdits ouvrages, dans ladite Ville et Fauxbourgs de Nantes ; à l’effet de quoi lesdits maîtres fabriquants, les particuliers privilegiez, & lesdits ouvriers, seront tenus de faire auxdits Jurez, ouverture de leurs ouvroirs, boutiques et autres lieux où ils travailleront, ou feront travailler, & où ils auront des marchandises de bonneterie, afin que la visite puisse en être faite par lesdits Jurez ; à peine contre ceux qui feroient refus, des trois cent livres d’amende, d’être interdits de la maîtrise, ou de leur privilège pendant six mois, & de plus grande peine, s’il y échoit.

          Cet arrêt réaffirme donc avec force ce que l’arrêt du 30 mars 1700 imposait déjà pour tout le royaume.

          Cette solution sera encore rappelée dans un arrêt du Conseil du 26 mai 1736, à l’occasion d’une affaire opposant la corporation de bonnetiers nantais au maître de la manufacture de bas au métier du Sanitat.

          Les Lettres patentes accordées par Louis XV au Sanitat en février 1760 viendront non seulement confirmer les arrêts du Conseil du 30 mars 1700 et du 26 mai 1736, mais elles étendront le droit de visite des jurés des corporations auprès des artisans locataires du Sanitat à tous les corps d’arts et métiers : " lequel Arrêt [du 26 mai 1736] Nous avons déclaré commun pour tous les Corps d’Arts & Métiers, parceque les Jurés lors de leurs Visites se feront assister d’un Officier de Police, après en avoir pris la permission du Juge de Police, conformément à l’Art. XIX de l’Arrêt de notre Conseil du 30. Mars 1700 "..

          Dès lors la question n’est plus de savoir si les jurés des corporations peuvent visiter les artisans du Sanitat, mais plutôt quelles sont les infractions qu’ils sont en droit de relever.

           

        3. Les infractions relevées lors des visites.
        4. L’un des leitmotive des jurandes est la protection du public par la garantie d’un travail de qualité supérieure, ou du moins égale entre les maîtres.

          Pour parvenir à cette fin, les statuts des métiers comportent souvent de longs articles consacrés aux conditions de fabrication des ouvrages ainsi qu’à la qualité des matériaux à employer. Les cordonniers, les serruriers, les tisserands, les menuisiers, etc. ; tous les corps de métiers sont particulièrement pointilleux sur cet aspect de leur travail. Les statuts des bonnetiers nantais méritent une mention spéciale à ce sujet, non qu’ils soient exceptionnels au regard d’autres villes du Royaume, mais ils sont tellement détaillés sur le nombre, la qualité des fils à employer, sur le maillage des étoffes, sur le poids des marchandises par rapport à la quantité de soie utilisée. Tout dans ce règlement indique une communauté repliée sur elle-même, qui sent le besoin de se protéger. Or ce besoin est réel, puisque les bonnetiers subissent dans les dernières années du XVIIe siècle la concurrence des manufactures de bas au métier qui se développent en France et viennent remettre en cause jusqu’à leur propre existence.

          L’extrême rigueur des règlements corporatifs est en partie à l’origine du mouvement d’opposition aux jurandes, accusées d’immobilisme et d’entrave à l’innovation.

          La qualité du travail fait donc l’objet de toute l’attention des jurés qui lors de leurs visites sont particulièrement attentifs au respect des statuts du métier ainsi que des arrêt du Conseil.

          Parmi les infractions relevées par les jurés figurent donc les malfaçons d’articles du métier, liées soit à la qualité même du travail, soit à la qualité ou la quantité des matériaux utilisés.

          Les malfaçons liées à la qualité du travail se retrouvent très couramment dans les procès-verbaux des jurés, que ce soit à l’encontre d’autres maîtres de la corporation, de chambrelans, ou d’artisans locataires du Sanitat.

          Le 29 août 1732, les jurés de la corporation des bonnetiers visitent l’atelier de Guyon situé dans la Cour des Artisans du Sanitat, ils relèvent que sur les deux premiers de ses huit métiers sont montés des bas de deux fils et non de trois fils comme l’imposent le règlement du métier ainsi que l’arrêt du Conseil du 3 juillet 1721. Guyon se défend de contrevenir aux règles du métier et explique qu’il était en train de monter les fils lorsque les jurés sont arrivés, et qu’en conséquence il ne peut y avoir déjà trois fils puisqu’il n’a pas fini de les monter. Les jurés veulent saisir non seulement les ouvrages en train d’être fabriqués, mais encore les métiers, ce à quoi Guyon s’oppose avec force. Contraints de se retirer, les Jurés – accompagnés d’un " commissaire de police " - font dresser procès-verbal et poursuivent l’artisan en justice.

          Vus sous cet angle, les faits semblent accuser Guyon, et ses arguments en défense semblent peu solides, d’autant que les jurés n’ont pas retrouvé suffisamment de bobines pour monter tous les métiers à trois fils. Il s’agit en réalité d’un traquenard organisé par les bonnetiers pour lui faire un procès. En effet, les bonnetiers accompagnés d’un " commissaire de police " qui n’est autre qu’un maître tailleur d’habit de la ville et ami d’un des deux jurés, n’ont prévenu ni le juge de police – ce qui est pourtant la règle lorsqu’une visite a lieu avec l’assistance d’un officier de police – ni les administrateurs du Sanitat qui n’ont pu corroborer les faits.

          Tout a été – dans cette visite – mis en œuvre pour prendre Guyon en faute ; il s’agit d’une véritable machination contre les bonnetiers du Sanitat, destinée à les empêcher de travailler par la saisie de leur outil de production (les jurés ont tenté de saisir leurs métiers).

          Le second type d’infraction relevé lors des visites des jurés des corps d’arts et métiers dans les boutiques des artisans du Sanitat touche au nombre de compagnons et d’apprentis que ceux-ci emploient.

          Quelques corporations n’ont jamais véritablement remis en cause la possibilité pour le Sanitat d’avoir dans son enceinte des artisans dont la mission principale est de former les enfants de la Maison. Pour ces corporations, il existe bien une franchise de l’Hôpital général, et – si elle n’est pas contestée – elle doit néanmoins être surveillée, car elle n’est pas absolue.

          En effet, ces jurandes acceptent une relative concurrence du fait des artisans du Sanitat, mais elles considèrent que ce privilège, utile au pauvres, doit être limité. Et la limite admise par ces corps est relative au nombre d’artisans de chaque métier présent dans le Sanitat : pour les uns, il ne faut pas que la maison ait plus d’un artisan de chaque profession, d’autres en tolèrent deux au maximum, mais limitent très sévèrement le nombre de compagnons que ceux-ci peuvent employer.

          En 1737, alors qu’ils sont en procès contre le Sanitat, les maîtres serruriers de Nantes rédigent un projet de nouveaux statuts dans lequel il est prévu que le Sanitat ne pourrait avoir " plus d’un ouvrier pour l’instruction desdits enfants bleus, et il sera tenu de souffrir la visitte des jurés, et la marque dudit métier de serrurerie, de plus les ouvrages qui seront fabriqués seront sujets a confiscation, s’ils ne sont pas dans la qualité requise et si dans la fabrication on est contrevenu aux présents statuts ".

          Appelé à se prononcer sur ce projet, le juge prévôt de Nantes propose, le 1er juin 1737, que le nombre d’ouvriers au Sanitat soit fixé à deux de chaque métier.

          De son côté, la corporation des menuisiers ne peut interdire au Sanitat d’avoir un artisan du métier dans son enceinte, puisque l’Hôpital général dispose du monopole de fourniture des châsses pour les enterrements, il lui faut donc accueillir au moins un ouvrier.

          Une requête des maîtres menuisiers auprès du Parlement de Bretagne du 17 février 1749 tend à limiter le nombre de menuisiers locataires du Sanitat :

          Dans ce proces il s’agit entre autres choses de scavoir s’il est permis aux sieurs directeurs et administrateurs du Sanitat d’avoir dans l’enclos de leur hopital tel nombre d’ouvriers menuisiers qu’il leur plaît en admettre. Il s’agit dis-je de scavoir si au prejudice de la communauté des Mes menuisiers de Nantes qui ont de grosses taxes et impositions a payer pour joüir du droit de maitrise, ces directeurs sont en droit de retirer chez eux autant d’ouvriers qu’il leur plait pour y demeurer et de les affranchir du droit de maitrise.

          Les menuisiers ne remettent pas en cause le privilège, mais ils demandent à ce que celui-ci ait des " bornes " ; aussi demandent-ils aux magistrats de limiter le nombre de menuisiers hébergés par le Sanitat à deux, lesquels ne pourraient avoir avec eux plus de deux compagnons en totalité.

          A l’appui de leur demande, ils font valoir des procès-verbaux de visite chez les menuisiers du Sanitat qui feraient apparaître la présence dans la Maison de trois à quatre menuisiers ayant chacun quatre, cinq et six compagnons.

          Les jurés des menuisiers nantais se sont fait une spécialité des visites à l’improviste dans les cours du Sanitat, et les artisans du métier qui y travaillent ont pris l’habitude de les voir survenir accompagnés d’un commissaire de police pour contrôler le nombre de compagnons qu’ils ont avec eux. Les réponses des artisans sont souvent évasives et visiblement fausses, ils déclarent tantôt ne pas avoir de compagnon, tantôt en avoir un ou deux selon le règlement, mais aussi parfois en avoir quatre, et refusent toujours de signer le procès-verbal systématiquement établi lors des visites.

          Les Lettres patentes de l’Hôpital général de Nantes de février 1760 ne lèvent pas l’incertitude quant au nombre d’ouvriers de chaque métiers que peut accueillir le Sanitat ; elles semblent au contraire muettes sur ce sujet.

          La raison de ce silence est que la solution est contenue dans l’arrêt du Parlement de Bretagne du 11 avril 1758 que l’article XXIII des Lettres patentes prescrit de respecter.

          L’arrêt de la Cour – déclaré " commun entre le dit Hôpital et toutes les Communautés et Corps et Métiers de la Ville de Nantes " – fait notamment " deffenses aux administrateurs du dit Hôpital de tenir en icelui outre les ouvriers emploiés à faire des châsses, plus de deux ouvriers en menuiserie avec un compagnon chacun pour apprendre le métier aux enfants ".

          Après 1760, les visites ne disparaîtront pas d’elles-mêmes, bien au contraire, elles se multiplieront jusqu’à la fin de l’Ancien Régime avec toujours les mêmes résultats.

          La raison de cette permanence du harcèlement des artisans du Sanitat par les corporations est simple : il s’agit là d’un moyen ordinaire de lutte contre la concurrence, le but est de lasser les artisans du Sanitat de l’exercice d’un privilège si contraignant, et de les obliger à se faire admettre dans la jurande.

          Un exemple choisi dans la corporation des serruriers nantais permet d’apprécier l’état d’esprit dans lequel se trouvent les corps, prêts à tout pour éliminer un concurrent.

          Le 23 décembre 1767, les jurés des serruriers nantais se rendent chez le commissaire de police de la vile, Augustin Albert, pour lui demander de les accompagner au Sanitat :

          Lesquels [jurés] ont dit que l’esprit des reglements concernant les privilèges du Sanitat, en permettant que dans la maison dudit Sanitat il y aura deux ouvriers serruriers, n’étant que dans la vüe d’instruire les enfants qui sont dans cette maison, pour recompense de quoy ils accordent passé un certain tems le titre de maitre serrurier aux ouvriers qui ont montré et éduqué les enfants ; ayant eu connaissance que le nommé Cassignard qui compose un de ces ouvriers frustre entierement ces privileges et qu’il n’y est que pour y travailler pour son compte et non pour instruire les enfants de cette maison, puisque depuis qu’il y est demeurant il n’a eu aucun enfant chez lui, et qu’au moyen de ce il ne doit pas par la suitte jouir des privilèges accordés à cette maison, ne remplissant pas les vües du règlement qui les composent.

          Interrogé sur ce fait par le commissaire et les jurés, Cassignard leur répond fort justement " que dans tous le nombre des enfants qui y sont pas un s’est présenté pour apprendre le mettier de serrurier, le trouvant trop dificile, et que ce n’est pas sa faute, que depuis qu’il demeure en cette maison il a toujours esperé qu’il s’en presenteroit et que peut-être par la suitte il s’en presentera ".

          Il faut aussi relever que la fin de l’Ancien Régime correspond à une période de crispation des communautés de métiers par rapport à la circulation de la main-d’œuvre qualifiée. Cela est particulièrement sensible en ce qui concerne les menuisiers nantais qui vont bien sûr continuer de surveiller les artisans du Sanitat, mais vont aussi développer au sein de leur corps un certain nombre de règles restrictives quant à l’embauche des compagnons du métier. Le placement des apprentis fera aussi l’objet d’une réglementation stricte et sera le monopole du Bureau de la corporation.

          Cette surveillance particulière de la main-d’œuvre du métier a pour but le " maintien de l’équilibre du nombre entre les maître et les élèves ", gage de la continuité de la transmission de la maîtrise.

          L’exemple des visites traduit parfaitement l’esprit de chicane propre aux corporations d’Ancien Régime ; loin de chercher à en tirer un réel bénéfice, le but est plutôt de pratiquer un harcèlement quotidien de l’adversaire. Dans cette logique procédurière, le vaincu n’est pas celui qui perd son procès, mais le premier qui renonce à l’exercice et à la défense de son droit.

           

        5. Un exemple de pugnacité : l’affaire du sieur Louis Guyon.

        Parmi tout le contentieux qui a opposé le Sanitat aux différentes corporations de métiers de la ville, il en est une qui mérite un éclairage particulier car elle reflète parfaitement la volonté des parties de se battre jusqu’au bout, quelles qu’en soient les conséquences financières.

        Cette affaire, déjà évoquée dans les paragraphes précédents, est celle qui oppose le sieur Louis Guyon, bonnetier du Sanitat aux corps de métier nantais.

        Les faits sont simples et ont déjà été exposés, et outre l’évidente mauvaise foi des jurés du corps, ils ne présentent aucune difficulté particulière.

        Trois ans après le procès-verbal dressé par les jurés des bonnetiers, le 1er septembre 1735, Louis Guyon est condamné par une sentence des juges de police de Nantes à cinquante livres d’amende au profit des deux hôpitaux de la ville. Il lui a de plus été fait expresses défenses de s’opposer à l’avenir aux visites des jurés du corps des bonnetiers.

        Ne voulant pas payer cette somme et souhaitant certainement gagner du temps, il interjette appel de cette sentence devant le Parlement de Bretagne.

        La procédure aurait pu continuer devant les magistrats rennais, mais les bonnetiers nantais, considérant que dans cette affaire l’intérêt de l’État est en jeu, envoient une supplique au roi afin qu’il évoque la cause au Conseil.

        Effectivement, l’affaire est évoquée au Conseil du roi et donne lieu à un arrêt du 24 janvier 1736 qui condamne Guyon à trois cents livres d’amende et l’interdit d’exercer son privilège pendant six mois.

        La motivation de l’arrêt repose sur deux éléments : d’une part la sentence du 1er septembre 1735 qui ne condamne Guyon qu’à cinquante livres d’amende, méconnaît les arrêts du Conseil du 30 mars 1700, du 3 juillet 1721 et du 11 janvier 1735 selon lesquels l’opposition aux visites des jurés est sanctionnée par une amende de trois cents livres et une interdiction d’exercice pendant six mois. D’autre part, et c’est la cause de l’évocation :

        Que les suppliants ayant déjà soutenu un procès au Parlement de Rennes en 1734 contre la veuve Renaud marchande de bas à Nantes […] dans lequel ils ont succombé, & qui leur a couté plus de 1 700 livres ; ils se trouveroient peut-être exposez au même évenement, si l’appel interjetté par Guyon, de la sentence des Juges de Police de Nantes, du 1er septembre 1735 étoit jugé au parlement, ce qui causeroit la ruine de leur Communauté, & rebuteroit les Jurez de faire à l’avenir aucunes visites, pour maintenir l’execution des reglemens. Pour quoi requerroient les supplians, qu’il plus à Sa Majesté évoquer à soi & à son Conseil, l’appel interjetté par ledit Guyon au Parlement de Rennes, de laditte Sentence des Juges de Police de Nantes, du 1er septembre 1735…

        L’évocation acceptée par le roi afin d’éviter une mauvaise application du droit par les magistrats rennais condamne lourdement Louis Guyon ; en tout cas, c’est plus qu’il n’en peut supporter.

        Conscients que cette affaire concerne au premier chef le Sanitat, les Directeurs des pauvres vont mettre très rapidement tout en œuvre pour adoucir la décision royale.

        A partir du moment où l’arrêt du 24 janvier 1736 est connu à Nantes, les administrateurs du Sanitat vont intriguer et manœuvrer afin de faire réviser l’arrêt.

        La première démarche des Directeurs du Sanitat est de prier l’Évêque de Nantes d’intervenir auprès du Contrôleur général et de M. Fagon, conseiller d’État et Président du Conseil du Commerce. Dans leur lettre, les Directeurs des pauvres remettent directement en causes les méthodes des jurés ainsi que la sincérité de leur procès-verbal : les bonnetiers du Sanitat se plaignent notamment " qu’ils font de fréquentes visites chez eux, ou ils ne se font assister que d’un artisant pour commissaire de police, quoiqu’ils d’eussent avoir un juge et appeller un des directeurs de l’hopital suivant les lettres patentes du roi Henry second du 2 juin 1578, et que n’y ayant personne a leur utilité capable de les contenir dans de justes bornes, ils dressent des procez verbaux peu fidèles, ou ils supposent des contraventions, mesurent des rebellions dont les ouvriers de la maison ne conviennent point d’estre coupables ". Néanmoins, puisque les visites sont nécessaires, le Bureau propose une solution : il a pris, le 12 mars 1736, une délibération afin que le commissaire de semaine de l’Hôpital fasse lui-même une visite hebdomadaire chez tous les ouvriers de la Maison, et ordonne l’expulsion immédiate de ceux qui se trouveront en contravention.

        " Le Bureau se flatte d’oster par ce moyen tout pretexte de plainte aux maitres jurez de la ville : mais comme on a lieu de douter de la sincerité de leur proces verbaux de visite contre Guyon et Ribaud, […] Mr le controlleur general sera suplié d’user de sa bonté ordinaire en deschargeant les deux ouvriers de l’amende et de l’interdiction de leur métier, en consideration des pauvres auxquels l’interruption du travail de leurs maitres causerait un prejudice considerable… ".

        Le 17 avril 1736, l’Évêque de Nantes écrit au Contrôleur Général et lui fait part de la supplique et de la solution du Bureau du Sanitat.

        Un mois plus tard, le 15 mai 1736, le Contrôleur Général répond à l’Évêque de Nantes.

        Il approuve les mesures prises par les Directeurs des pauvres de Nantes pour que les ouvriers du Sanitat soient mieux surveillés ; néanmoins, il ne considère pas qu’il faille les affranchir des visites des jurés des bonnetiers, il ajoute que l’arrêt du Conseil du 30 mars 1700 doit recevoir une totale application. Malgré tout, il reçoit avec bienveillance la supplique des Directeurs du Sanitat, il demande à l’Évêque de les informer " [qu’]il sera rendû incessamment un arrest pour en renouveller les dispositions [celles de l’arrêt du Conseil du 30 mars 1700], et qui moderera en meme tems par grace et sans tirer a consequence, les peines prononcées contre Louis Guyon ".

        Dans une lettre du 18 mai 1736, adressée par d’Augy à Thomas Galbaud, membre du Bureau du Sanitat, il apparaît qu’un arrêt du Conseil du roi vient de réduire l’interdiction dont est frappé Guyon à trois mois, et de modérer son amende à cent livres " qu’il ne paiera point puisqu’elle est au profit de l’hopital ". De plus, ce que la lettre indique surtout, c’est que le Bureau du Sanitat a envoyé Louis Guyon à Paris afin qu’il plaide lui-même sa cause devant le Conseil.

        L’arrêt en question, est un arrêt du Conseil du roi du 26 mai 1736, dans lequel le Conseil prend acte de l’opposition formée contre l’arrêt du 24 janvier 1736, des réserves des Directeurs de pauvres quant à la sincérité des procès-verbaux des bonnetiers, il enregistre aussi leur confiance en leur ouvrier.

        L’arrêt déboute Guyon et les Directeurs des pauvres de leur opposition et déclare que l’arrêt du 24 janvier 1736 recevra pleine application ; néanmoins, par grâce il réduit l’amende infligée à Guyon de trois cents livres à cent livres, liquidées à la somme de quatre-vingts livres au profit des bonnetiers nantais pour les dédommager de leurs frais et de vingt livres au profit des pauvres de l’Hôpital général de Nantes. L’interdiction d’exercice de son métier est aussi levée par mesure de grâce.

        En revanche, l’arrêt réaffirme avec force la possibilité pour les jurés des bonnetiers de visiter, " quand bon leur semblera ", les ouvriers du Sanitat " en se faisant néanmoins assister d’un Officier de Police, et après en avoir pris la permission du Juge, conformément à l’Article XXIX de l’arrêt du Conseil du 30 mars 1700 ".

        Un autre courrier échangé entre d’Augy et Thomas Galbaud, sans date, montre une fois de plus la présence de Guyon à Paris.

        Mais il fait aussi apparaître que les bonnetiers ne désarment pas, et continuent de harceler Guyon en vertu de ce dernier arrêt : " Les jurez ont fait remettre a M. le controlleur general une expedition du procès verbal de nouvelle descente chez le sieur Guyon avec un memoire dont je ne scais point le contenu. Le tout a esté renvoyé a M. d’Haute Roeze intendant du commerce qui doit ecrire demain a M. de Viarme pour l’engager a charger son subdélégué à Nantes de retablir cet ouvrier [Guyon] conformément aux dispositions du dernier arrest. Ces opérations ne doivent pas etre bien longues. Cependant si on faisoit de nouvelles poursuittes en conséquence du dernier procès verbal, comme l’intention de M. d’Haute Roeze n’est point qu’on fasse de peine à cet ouvrier qui n’a recommencé a travailler que sur la promesse de l’intendant du commerce. Il pourroit s’adresser au subdélégué de M. l’Intendant a Nantes afin d’accelerer les ordres nécéssaires et conformes a l’intention du ministre ".

        Mais il en faut plus pour décourager la corporation des bonnetiers qui poursuit ses visites régulières du Sanitat. La tension est telle que les Directeurs de l’institution en appellent une fois de plus à la bienveillance du Contrôleur général, mais cette fois la réponse est ferme et parvient par une lettre du subdélégué de Rennes, Védier, en date du 29 avril 1737 :

        Sur les plaintes que vous avez faites Messieurs a Monsieur le Controlleur general des visites trop frequentes que les gardes des fabriquants de bas au metier de la ville de Nantes font sur les metiers des fabriquants qui travaillent dans cet hopital, je charge M. Gwendam de vous dire qu’il est informé il y a longtemps que vous souffrés impatiemment ces visites et que les memes raisons qui ont donné lieu aux dispositions de l’arrest du 26 may 1736 doivent engager a les laisser subsister pour obliger les ouvriers qui travaillent dans cet hopital a se conformer aux dispositions des reglements dont il a paru par les saisies qui y ont esté faites qu’ils estoient dans l’usage de s’écarter, mais comme vous vous plaigniez du Commissaire Taillé il veut bien cependant que le lieutenant general de police lorsqu’il accordera des permissions aux gardes ou aux jurez des autres communautés d’arts et metiers d’aller en visite dans l’hopital il ait attention de commettre en meme temps un des juges ou conseillers de police pour les y assister. Et M. le Controlleur general charge encore M. Gwendam de vous avertir de ne point souffrir qu’il soit aporté d’obstacle à ceux qui sont autorisez a faire des visites et a veiller avec attention a ce que les ouvrages qui se fabriquent dans l’hopital soient conformes aux Reglements.

        L’affaire du sieur Louis Guyon connaît un triste prolongement, puisque un acte de prisage en date du 9 mars 1737 nous apprend qu’il n’est plus, depuis plusieurs mois, en état de payer le loyer de l’appartement qu’il occupe avec sa femme dans l’enceinte du Sanitat.

        Pour s’acquitter de ses dettes il propose aux Directeurs du Sanitat de leur donner les quatre métiers qu’il possède. Ceux-ci acceptent et font examiner les métiers par des maîtres bonnetiers. Les quatre métiers sont évalués à 760 livres, soit 150 livres de plus qu’il ne doit à la Maison, et que le Bureau lui reverse en argent.

        L’acte se termine par la résiliation du bail de Guyon et sa femme au Sanitat qu’ils devront quitter à la fête de la Saint-Jean 1737.

        Ainsi, Guyon n’aura pas résisté longtemps après l’arrêt du 26 mai 1736. En multipliant les visites et les procédures, les bonnetiers sont finalement parvenus à l’empêcher d’exercer son privilège, puisqu’il doit quitter le Sanitat appauvri de son outil de travail.

        La solidarité manifestée par le Bureau lors du procès qui l’a opposé à la corporation des bonnetiers trouve ici sa limite. L’intérêt de la Maison n’est plus en jeu, et Guyon – usé par la procédure – sera facilement remplacé.

        L’affaire du sieur Louis Guyon est l’exemple parfait de là où mène la politique ultra procédurière des corporations contre le privilège du Sanitat : il a eu en partie gain de cause devant le Conseil, mais il est finalement obligé d’abandonner son privilège.

        Or cette politique est à double tranchant, car elle mène les corporations à s’endetter à fonds perdus dans des procédures qui ne leur rapportent jamais rien.

         

      3. Les stratégies d’exclusion.
      4. En dehors des visites domiciliaires, les corporations – et rappelons-le, le Sanitat – disposent d’autres moyens de pression visant à l’exclusion du concurrent de l’exercice de sa profession.

        Ces deux principales manœuvres sont d’une part les saisies lors des livraisons, c’est-à-dire que lorsque les visites n’ont pas permis de déceler des marchandises en contravention avec les règlements, il reste encore la possibilité d’effectuer un contrôle en pleine rue, pendant la livraison des produits.

        D’autre part, dans les cas plus rares où les compagnons du Sanitat se font agréger à un corps de métier, la réaction de la communauté est généralement le rejet, à l’exemple des serruriers nantais.

        Enfin, pour bien montrer que la chicane n’est pas l’apanage des corps de métiers, mais peut aussi venir des Directeurs des pauvres, il faut considérer l’action de ceux-ci vis-à-vis des menuisiers dès lors que leur privilège a été confirmé par le roi.

         

        1. Les saisies lors des livraisons.
        2. Lorsque l’atelier de l’artisan n’est pas accessible aux jurés du corps ou que cela ne sert à rien de le visiter, ou encore qu’il n’y ont rien trouvé, il reste toujours la possibilité d’intercepter les marchandises de l’artisan pendant le trajet de la boutique à la maison du client. Cela présente un double avantage pour les jurés : d’une part et en cas de saisie des biens livrés, cela met l’artisan en mauvaise posture vis-à-vis de sont client, puisque celui-ci n’est plus en mesure de fournir l’article commandé, lequel s’avère d’ailleurs être défectueux puisqu’il a été saisi. D’autre part, comme ces contrôles s’effectuent en pleine rue, ils peuvent permettre à des jurés habiles d’accabler d’opprobre l’artisan indélicat en présence de la population.

          Le but de ces contrôles répétés est une fois de plus de lasser l’artisan de l’exercice de son privilège et de le contraindre à se faire agréger à la communauté.

          Un mémoire des Directeurs du Sanitat au Lieutenant général de police de Nantes, en date du 21 janvier 1723 permet d’apprécier cette stratégie des corps de métiers. Le bureau réclame contre le harcèlement permanent dont est victime le vitrier de la Maison de la part des gardes jurés des vitriers nantais :

          Et n’osant pas attaquer directement le privilege, ils [le corps des vitriers de la ville] veulent le rendre inutile en arrestant tous les jours les ouvrages du dit vitrier sous pretexte qu’ils ne sont pas conformes a leurs status ce qui consomme en frais ce malheureux qui pour avoir patience a fait un traité avec eux par lequel il s’est obligé de faire chef d’œuvre pour avoir la liberté de travailler de son metier, ce que les suppliants aiant appris et que pour l’execution d’iceluy il y a instance pendante devant vous messieurs, comme un tel traité est absolument contraire aux regles de la maison, qu’il sappe par les fondements son privilege, puisque dans sa suite non seulement les maitres vitriers mais encore les maitres des autres metiers ne voudront point souffrir travailler d’ouvriers dans la maison qu’ils ne se soient fait recevoir dans les formes et se serviront de ce traité comme une interruption et destruction de droit et possession ce qui feroit qu’aucun artisan ne voudroit venir demeurer dans la maison, …

          Les " pères des pauvres " ne peuvent absolument pas admettre la validité d’un tel traité, lequel consacre la victoire des corporations vis-à-vis du privilège du Sanitat qu’il détruit. Il ne semble pas que ce traité ait été validé par les magistrats nantais, puisque le contentieux demeure.

          Nous avons vu précédemment que les menuisiers nantais s’étaient fait une spécialité des visites liées au contrôle du nombre de compagnons dont disposaient les artisans locataires du Sanitat ; nous pouvons désormais rajouter qu’ils n’en excellaient pas moins dans la dangereuse technique de la saisie lors de livraisons.

          Une affaire est particulièrement significative des conditions dans lesquelles se déroulaient ces contrôles, est celle qui a opposé Maurice Langlois dit l’Albigeois, menuisier du Sanitat, aux gardes de la corporation des menuisiers nantais. L’autre intérêt de cette affaire est qu’elle pose clairement la question du droit des jurés d’arrêter et de confisquer les articles produits par les artisans du Sanitat, et au-delà, elle est à l’origine de la remise en cause du privilège du Sanitat du fait de l’absence de Lettres patentes.

          Le 19 juin 1747, Anselme Le Bonhomme et Pierre Margot vont chez Jean-Baptiste Turpin, commissaire de police de la ville de Nantes ; ils lui présentent " deux croisées de bois de chesne " qu’il viennent de saisir " sur la fosse " des mains de Langlois, " menuisier forain demeurant dans la première cour du Sanitat ". Outre les pièces défectueuses saisies par les jurés, Pierre Margot se plaint de violences provoquées par Langlois : " Ledit Margot nous a fait remarquer, et nous avons vû le dessous de son bras gauche tout meurtry et écorché laquelle blessure il nous a dit lui avoir été faite d’un coup de marteau que ledit Langlois lui a donné ainsi que plusieurs autres coups qu’il lui a aussi donné avec son dit marteau sur le dos dont il est tout meurtry, étant pour lors en chemise " ; Anselme Le Bonhomme se plaint aussi de blessures faites par Langlois, " le dessous de son œil gauche tout meurtry, noir et enflé, gros comme une noix ".

          Il semble donc que la saisie des croisées se soit mal passée, et que Langlois ait opposé une résistance certaine.

          Or le même jour, Langlois se présente devant Jean Plumaugat, juge prévôt, lieutenant général de police de la ville de Nantes et obtient la permission de se faire visiter ainsi que Louis Gautereau son apprenti par un chirurgien. Les examens ont lieu le 23 juin 1747 et permettent de constater que tant Langlois que son apprenti ont subi des violences, qu’ils attribuent aux deux gardes jurés des menuisiers.

          Langlois assigne Anselme Le Bonhomme et Pierre Margot en justice pour les violences qu’ils ont subies. En prenant de vitesse les jurés, et en se présentant directement devant le lieutenant général de police, Langlois prend l’avantage sur ses deux adversaires, puisque cela lui permet de se poser en tant que demandeur et de placer les deux jurés dans l’obligation de se défendre ; sans entrer dans le fond de l’affaire, les rôles semblent s’être inversés.

          Le 14 juillet 1747, les témoins de Langlois sont entendus par le magistrat qui convoque, le 17 juillet ceux des deux jurés.

          Les premiers témoins déclarent plus ou moins à l’unisson qu’alors que Louis Gautereau marchait dans la rue en portant les croisées pour son maître, les deux jurés, Anselme Le Bonhomme et Pierre Margot, se sont jetés sur lui pour lui arracher les marchandises. Surpris, le jeune Gautereau ne les a néanmoins pas lâchées. Les Jurés l’ont alors plaqué contre un mur et l’ont roué de coups, lui frappant la tête contre la paroi. Langlois, qui marchait quelques pas derrière son apprenti, est intervenu pour défendre l’enfant ; les deux jurés l’ont a son tour violemment agressé. Supérieurs en force, ils finirent par emporter les marchandises.

          Les témoins des jurés ne remettent pas en cause les faits, même si ils tendent à minimiser la violence des deux hommes. Néanmoins, ils ne font pas apparaître que les deux jurés aient agressé Langlois ; ils disent au contraire que c’est le menuisier qui s’est jeté sur eux alors qu’ils tentaient d’arracher par force les croisées à l’enfant qui hurlait au secours.

          Le 11 avril 1750, le procureur du roi rend son réquisitoire dans cette affaire. Il conclut à ce que les deux jurés soient condamnés solidairement avec leur corps de métier à trois cents livres de dommages et intérêts au profit du Sanitat pour les coups portés à Louis Gautereau, à cent livres de dommages et intérêts et réparation civile au profit de Langlois, ainsi qu’à quinze jours de prison chacun.

          Le magistrat peut difficilement suivre un réquisitoire aussi dur, et le 25 avril 1750, une sentence du siège royal de police condamne la corporation des menuisiers nantais à cent livres d’amende pour les violences sur Louis Gautereau.

          Parallèlement au procès criminel, se déroule la procédure issue de la plainte du corps des menuisiers contre Langlois pour malfaçon et contravention aux règlements du métier.

          Le 4 juillet 1747, Langlois obtient la mainlevée de la saisie opérée un peu brutalement par les deux jurés. Le 11 février 1749, les menuisiers nantais interjettent appel de cette sentence.

          Le fondement de ce jugement du 4 juillet 1747 repose sur l’arrêt du Parlement de Bretagne du 9 mars 1723, " Qui fait défenses aux Maîtres Jurés des Arts & Métiers & à tous autres d’arrêter & confisquer les Ouvrages qui se fabriquent dans l’Hôpital General, dit Sanitat, de Nantes sous peine du quadruple ". Or cet arrêt portait comme condition d’application que les Lettres patentes du Sanitat seraient incessamment représentées au Parlement ; ce qui n’a pu être fait.

          Le 31 juillet 1753, les menuisiers saisissent une armoire que Langlois livrait à deux de ses clientes, les demoiselles Dallias. Le 28 août suivant, Langlois obtient une fois de plus la mainlevée de la saisie, toujours sur le fondement de l’arrêt du 9 mars 1723.

          Excédés, les menuisiers interjettent appel de cette sentence auprès du Parlement de Bretagne ; dans une requête présentée aux magistrats rennais, ils somment les Directeurs du Sanitat de produire leurs titres, au vu de l’arrêt du 9 mars 1723. Les Directeurs admettent à cette occasion ne pas en avoir, ils ne peuvent présenter outre l’arrêt du 9 mars 1723, qu’un arrêt du Conseil du 19 février 1725, portant établissement d’un nouveau Bureau d’administration du Sanitat.

          Poursuivant leur appel devant le Parlement, les menuisiers présentent au Parlement deux mémoires contre le Sanitat, dans lesquels ils opposent à l’Hôpital général sont absence de titres et font aussi une analogie entre leur corporation et celle des bonnetiers qui dans la même période était autorisée par plusieurs arrêts du Conseil du roi à visiter et confisquer si besoin est les marchandises qui se font dans l’enceinte du Sanitat.

          Finalement, l’arrêt du Parlement de Rennes du 11 avril 1758 rapporte le précédent arrêt du 9 mars 1723, et interdit aux ouvriers du Sanitat de vendre au dehors de la Maison les ouvrages qu’ils fabriquent à l’intérieur " si mieux n’aiment les dits ouvriers […] se faire recevoir maîtres ".

          La question des saisies semble définitivement résolue, en même temps que celle du privilège du Sanitat.

          Les Lettres patentes de l’Hôpital général de février 1760 viendront renverser la situation en confirmant le privilège du Sanitat. Elles autorisent néanmoins la visite des marchandises fabriquées au sein de la Maison, permettant par la même occasion les saisies lors des livraisons.

          L’article XXI autorise expressément les artisans du Sanitat à vendre leur marchandises en tout lieux de la ville, et de " porter ou faire porter leurs Marchandises & Ouvrages, pour les vendre en gros ou en détail, à leur profit, dans les Maisons, Ruës & Places de la Ville & Fauxbourgs de Nantes, en se faisant néanmoins accompagner d’un des Enfans bleus dudit Hôpital ; avec défenses aux Maîtres Jurés des Arts & Métiers, ainsi qu’à tous autres de les troubler dans leur Commerce, de les arrêter et confisquer, sous les peines du quadruple ".

          Les menuisiers n’ont pas désarmé pour autant, et leurs procès-verbaux de saisies pour malfaçon relèvent désormais tous l’absence de l’" enfant bleu " aux côtés de l’artisan sorti livrer ses marchandises en ville. La malfaçon en devient accessoire, et est à peine relevée par les jurés, cela prouve s’il était besoin que ces visites, ces saisies publiques ne sont que des moyens pour harceler les artisans privilégiés afin de les contraindre à abandonner leur privilège.

           

        3. Le rejet des corporations.
        4. Autre stratégie mise en œuvre par les corporations pour marquer leur refus du privilège du Sanitat est le rejet du corps de métier.

          En effet, le privilège de l’Hôpital général prévoit – dans l’article XXIII des Lettres patentes de février 1760 – la possibilité pour les compagnons qui auront travaillé six années à former des enfants de la Maison, de se faire recevoir maître de leur métier sans aucune formalité ni examen.

          L’arrivée d’un nouveau maître issu du Sanitat dans une jurande est généralement très mal acceptée par ceux qui ont acquis la maîtrise par les voies ordinaires. Lorsque la situation se trouve, les maîtres du corps font subir au nouvel agrégé l’ostracisme le plus total.

          Le 16 juillet 1772, Jean Cassignard, l’un des serruriers du Sanitat, acquiert la maîtrise en vertu des Lettes patentes de l’Hôpital général de février 1760. Ils seront, entre 1772 et 1775, trois à être reçus maîtres serruriers de la sorte. Après leur réception, tous trois demeurent locataires du Sanitat, et continuent d’enseigner leur métier aux enfants de la Maison.

          En septembre 1775, ces trois maîtres privilégiés, Cassignard, Lacouture et Piquet sont convoqués à une assemblée du corps des serruriers de la ville afin de se faire enregistrer définitivement dans la jurande, ce qui n’avait pas encore été fait.

          Méfiants, ils se présentent à l’assemblée, accompagnés – sur l’ordre de M. de Kervegan – par Augustin Albert, " commissaire inspecteur de police de la ville et communauté de Nantes ". La mission d’Albert est " [d’] y maintenir le bon ordre et mettre à l’abry de toutes injures les maitres qui ont gagné leur maitrise au Sanitat ".

          L’accueil est glacial, et le président de la séance – réticent à les inscrire – fait durer la séance sans évoquer leur cas. Finalement, l’assemblée prend fin, et les trois artisans sont sommés de signer le registre du corps afin de valider leur inscription.

          Mais à la lecture du procès-verbal ils se rendent compte d’irrégularités, et demandent l’assistance du commissaire qui les accompagne pour émettre des réserves : " ces trois derniers s’étant apperçus que cette délibération blessoit l’interrêt de leurs enfants d’après la lecture qui leur en a été faite par ledit Bar, ils nous ont prié de prendre leur parti et de representer au sieur Bar qu’ils ne peuvent signer sans mettre leurs réservations ".

          Les serruriers refusent qu’ils appose autre chose que leurs signatures sur le registre ; ils refusent donc de signer. La séance, très houleuse, est ajournée sur ces faits.

          Le 3 octobre 1775, à l’assemblée suivante de la communauté, la situation est la même ; malgré leur escorte renouvelée, les trois serruriers du Sanitat sont accueillis par des insultes. Au terme de la séance, le procès-verbal du commissaire Albert signale juste : " comme les notes ne remplissoient pas les vües desdits sieurs Lacouture, Piquet et Cassignard, ils n’ont point signé laditte délibération ".

          Nous ne savons pas ce qu’il est advenu de ces trois serruriers, s’ils ont finalement accepté de signer, si le corps a cédé ou s’ils ont été enregistré dans la jurande par décision de justice. Quoi qu’il en soit, leur enregistrement n’était pas pour eux une condition nécessaire pour exercer leur métier, puisqu’ils sont demeurés serruriers du Sanitat.

          L’accueil réservé à ces trois hommes par le métier, et plus particulièrement par ceux qui ont gagné leur maîtrise par les voies ordinaires, en faisant le chef-d’œuvre, en payant un droit d’accès au métier, est caractéristique de l’attitude des corporations vis-à-vis des privilégiés.

          La fermeture totale des métiers, le rejet systématique de tous ceux qui ne passent pas par les canaux habituels est une autre constante du système corporatif, qui le mène droit à sa perte.

           

        5. L’action du Sanitat contre les menuisiers.

Il ne faut pas penser que dans les procès qui l’opposent aux corporations de métiers, le Sanitat soit toujours défendeur, au contraire, il lui arrive aussi de faire valoir ses droits et ses privilèges contre les jurandes.

Considérer que le contentieux qui oppose le Sanitat aux métiers nantais est à sens unique serait une erreur. Le règlement du 31 décembre 1650 prévoit parmi les membres du Bureau un administrateur – nommé " avocat de l’Aumône " - chargé de la défense des intérêts de la Maison ; or, ce commissaire n’a pas un rôle passif, de défense du Sanitat lorsqu’il est mis en cause, au contraire, il poursuit les manquements aux règlements de la Maison, les infractions à ses privilèges, et n’hésite pas à assigner en justice ceux qui empiètent sur les monopoles de l’Hôpital.

Un exemple caractéristique de l’action du Bureau de l’Hôpital général contre les corporations se trouve aux Archives Municipales de Nantes. En effet, une liasse des archives du Sanitat contient un certain nombre de procès-verbaux de visites des administrateurs chez des menuisiers de la ville.

Le but de ces visites est toujours le même : faire respecter le privilège de fourniture des châsses pour les enterrements. Les circonstances aussi sont toujours les mêmes : les administrateurs ne se déplacent que lorsqu’un menuisier ou un membre de sa famille proche décède.

Chacune des visites relatées par ces procès-verbaux se déroule de la même façon ; les administrateurs apprennent le décès d’un maître menuisier de la ville ou d’un membre de sa proche famille, ils se rendent alors accompagnés d’un commissaire de police dans l’atelier de ce menuisier. Ils trouvent toujours dans la boutique un cercueil destiné au défunt, demandent si celui-ci a été fait au Sanitat ; à la réponse négative, ils ordonnent la saisie du cercueil et font dresser un procès-verbal par le commissaire qui les accompagne. Le contrevenant est alors systématiquement poursuivi, et condamné à payer une amende.

La liasse citée contient quatorze procès-verbaux de visites, tous dirigés contre des menuisiers de Nantes, et tous postérieurs à 1760. Sur ces quatorze affaires, dix ont eut lieu entre le 28 décembre 1778 et le 16 janvier 1780 ; il semble que la lutte des administrateurs du Sanitat contre les menuisiers se soit cristallisée pendant l’année 1779, sans raison apparente, si ce n’est les nombreux décès qui ont frappé le corps des menuisiers de la ville.

D’un autre côté, nous n’avons nulle part trouvé un tel acharnement des Directeurs des pauvres à défendre les intérêts de la Maison, aucune autre corporation ne subit une telle vindicte de la part du Bureau. Il y a bien sûr des procès qui opposent le Sanitat à quelques ciriers qui ont usurpé le privilège de fourniture des " têtes de mort et armoiries pour les enterrements " de l’Hôpital général, mais ceux-ci restent peu nombreux, voire exceptionnels.

Il semble au contraire que la lutte des Directeurs des pauvres contre les menuisiers ait pris un aspect systématique et réfléchi dès lors que le Sanitat a été confirmé dans ses privilèges par les Lettres patentes de févier 1760.

De plus, le choix de la corporation des menuisiers ne semble pas être un hasard : d’une part, le monopole de fourniture des châsses du Sanitat se prête parfaitement à ce type de contrôle ; d’autre part, la corporations des menuisiers nantais est – avec celle des bonnetiers – le corps de métier qui a le plus poursuivi en justice le Sanitat avant l’obtention de ses Lettres patentes. Y voir comme une vengeance ne serait peut-être pas une illusion.

La réaction du corps des menuisiers à ces contrôles et ces saisies va évoluer ; la corporation va devoir s’unir, à partir de 1779, pour contrer ces visites qui, si elles ne leur causent pas un préjudice commercial, provoquent une vive émotion dans un moment particulièrement douloureux.

Le 19 août 1768, les administrateurs du Sanitat, qui ont eu connaissance que certains maîtres menuisiers de la ville faisaient des châsses pour les enterrements, en dépit des Lettres patentes de l’Hôpital général, se transportent chez Argau un des maîtres menuisiers de la ville. Arrivés chez lui, ils le trouvent gisant dans son lit avec auprès de lui une bière. Demandant à sa veuve si celle-ci avait été faite au Sanitat, elle leur répond que non, qu’elle a été faite par le compagnon de son défunt mari. Le commissaire de police qui accompagne les administrateurs du Sanitat saisit la châsse illicite et informe la veuve qu’elle sera appelée au Présidial où elle sera poursuivie pour fraude.

Scandalisés par ce procédé, les maîtres de la corporation des menuisiers vont tenter de s’organiser pour lutter contre ces visites, mais le Sanitat est définitivement fondé dans son droit lorsqu’il fait respecter son monopole.

Le 28 décembre 1778, une visite identique est faite chez un menuisier qui vient de décéder. Son fils, lui-même menuisier, avoue aux administrateurs avoir lui-même fait la châsse pour son père. Il ajoute " que MM. les administrateurs veulent le chagriner, ils auront affaire à la communauté des Mes menuisiers de Nantes ; qu’il ne l’avoit faite qu’après s’etre consulté à ses confrères qui tous lui avoient dit qu’un enfant pouvoit faire la Bierre de son père ". Comme dans le premier cas, celle-ci est saisie et le fils poursuivi.

Le même jour, lors d’une autre visite où un fils a fait le cercueil de sa mère, les administrateurs s’entendent répondre " que dans leurs calités de maitres menuisier que sella leurs estoit permis et que si les administrateurs en comptoit etre fondé a l’empeché qu’ils pouvoit les poursuivre que la communauté des maitres menuisiers leur avoit promis de prendre faite et causes pour eux ".

Il semble en effet que la question ait été évoquée en assemblée du corps des menuisiers, et que ceux-ci, ne pouvant empêcher les Directeurs des pauvres de faire leurs visites, aient décidé de prendre à leur charge les poursuites en résultant.

En 1779, un menuisier est poursuivi par les Directeurs des pauvres pour avoir fait la châsse de l’un de ses enfants. Interrogé par les administrateurs du Sanitat, il leur répond que " Sy la susditte chasse avoit été faite dans sa boutique que s’étoit sur l’ordre qu’il en auroit receu de sa communauté qui lui a promis de prendre faite et causes pour lui, lui respondant de tous les evenemens qui pouvoit en resulter pour quoy il ne couroit pas de risque du coté de MM. les administrateurs du dit Sanitat ". Le Commissaire de police présent à la saisie lui fait néanmoins valoir les Lettres patentes du Sanitat de février 1760, et lui dit " qu’il serait traduit en justice par mesdits sieurs les administrateurs pour lui faire pratiquer l’amande par lui encouru ".

A partir de 1779, année où sont relevées le plus grand nombre d’infractions, les contrevenants s’opposent, parfois avec violence, à la saisie des châsses et répondent systématiquement aux administrateurs que cela ne les regarde pas personnellement, mais est du ressort de la communauté des menuisiers, qui seule doit être blâmée.

La politique du corps des menuisiers sur cette question des châsses faites par un menuisier pour un membre de sa famille, est clairement de ne pas céder un pouce de terrain ; les ordres donnés à ses membres sont de toujours s’opposer aux saisies et de renvoyer les administrateurs du Sanitat vers la communauté.

Malgré les poursuites et les condamnations qui les frappent, les menuisiers ne remettent pas en cause le privilège du Sanitat – lequel est en outre parfaitement fondé – il demandent uniquement un aménagement du monopole lorsque le défunt est un membre de leur famille. Or, une telle exception est difficilement envisageable dans une société fondée sur les privilèges et leur exclusivité.

Par ailleurs, il est intéressant de noter que ces visites portent sur un monopole ancien du Sanitat, qui n’avait jusqu’alors posé aucune difficulté ni de la part de la corporation des menuisiers, ni de celle du Bureau de l’Hôpital général.

Pour cette dernière raison, il est possible de s’interroger sur les motivations des Directeurs des pauvres qui, une fois assurés de la réalité de leurs privilèges, profitent du renversement de situation pour soumettre les menuisiers nantais à un tel contrôle.

 

 

 

 

 

L’incursion de l’Hôpital général dans le monde du travail, même si elle représente une nécessité financière pour la Maison, a pour conséquence une confrontation directe avec les corporations de métiers.

La société d’Ancien Régime est avant tout une société d’ordres, fondée sur la possession de privilèges. Défendre leurs privilèges et leurs monopoles, c’est ce que font les corps de métiers nantais lorsqu’ils mettent en cause les artisans du Sanitat ; le contentieux qui en découle n’est que le moyen de cette protection d’un statut qui signifie aussi – pour ces maîtres – avoir une place dans la société.

Par la suite, lorsque le Sanitat a été confirmé dans ses privilèges, les visites des administrateurs chez les menuisiers sont d’un certain point de vue l’illustration de cette lutte des classes, sinon des ordres. Il s’agit aussi par ces visites qui ont un certain caractère vexatoire, d’affirmer une supériorité sociale conférée par ces privilèges si chèrement défendus.

 

 

Conclusion

 

 

 

 

 

 

Cette étude du renfermement des pauvres aux XVIIe et XVIIIe siècles au travers de l’exemple du Sanitat de Nantes a permis d’envisager les contraintes économiques de cette politique ainsi que les enjeux locaux de sa mise en application.

Les difficultés de financement et de gestion du Bureau des " pères des pauvres " traduisent les hésitations d’un conseil de bourgeois composé en majorité de négociants, partagé entre la nécessité d’une administration prudente de l’institution qui leur est confiée et leur habitude de la finance et des affaires. Ainsi – et c’est une des raisons du déficit chronique des finances de l’établissement – la gestion du Sanitat se fait-elle au jour le jour, sans projet d’envergure ni d’investissements à long terme. Les Directeurs en sont réduits à faire vivre les pauvres de la Maison d’expédients, et de revenus essentiellement casuels.

Pas d’initiatives – ou si peu – pas de projet à long terme, l’Hôpital général de Nantes nourrit sa gestion des exemples pris auprès des autres établissements du royaume, la preuve en est fournie par le nombre de règlements d’autres hôpitaux qui se trouvent dans les archives du Sanitat.

Pourtant les hommes qui sont au gouvernement des pauvres de la ville ne manquent pas de compétences ni de qualités. A partir du début du XVIIIe siècle, beaucoup d’entre eux appartiennent aux plus grandes familles de négociants de la ville : les Montaudouin, Michel, Laurencin, Thiercelin, etc. L’évolution de la composition du Bureau, sa sociologie, sont des domaines qu’il faudra explorer : l’histoire du Sanitat ne sera pas complète sans une étude des hommes qui l’ont fait fonctionner.

Si ce travail peut servir à ouvrir une voie de recherche, celle-ci est à coup sûr intéressante. Ses résultats, rapprochés d’études en cours ou déjà effectuées pour d’autres institutions de la ville comme le personnel de la Chambre des comptes de Bretagne ou le corps municipal de Nantes, fourniront une connaissance sensible du passé et de ses institutions.

Cette recherche historique sur le Sanitat s’est – cela a déjà été signalé – appuyée sur un fonds d’archives peu connu, et qui ne semble pas intéresser les chercheurs. Cela est regrettable à plusieurs titres : d’une part parce que la connaissance d’une institution telle que le Sanitat est nécessaire, et d’autre part parce qu’il y a effectivement un fonds riche et cohérent qui mérite intérêt.

Ce travail serait particulièrement intéressant s’il était abordé sous l’angle de l’histoire des institutions. Le traitement de la pauvreté, confié par le pouvoir central à un corps de bourgeois plus ou moins libres de ses modalités de mise en œuvre : leurs choix, le bilan de l’établissement après un siècle et demi de fonctionnement…

Outre le fonds du Sanitat proprement dit, il existe de nombreuses directions dans lesquelles chercher l’histoire de cet établissement : les délibérations du corps de ville, le fonds de l’Intendance de Bretagne à partir du XVIIIe siècle, les archives de l’Évêché, celles du Parlement de Bretagne. Toutes ces institutions ont eu un rôle important dans l’existence du Sanitat, et sont parfois à l’origine de décisions importantes pour la Maison.

Ce qu’il faut peut-être retenir de ce travail, au-delà des questions financières, et de la confrontation de privilèges dans une société où tout est de toute façon fondé sur le statut que ceux-ci confèrent, c’est l’image du Sanitat, d’une institution de charité, de "bienfaisance", dont la mission est le traitement de la pauvreté autour de l’axe religion et travail.

Il ne s’agit pas d’un hôpital au sens médical du terme, Michel Foucault l’a parfaitement démontré dans sa thèse sur l’Histoire de la folie à l’âge classique : " Dans son fonctionnement, ou dans son propos, l’Hôpital général ne s’apparente à aucune idée médicale. Il est une instance de l’ordre, de l’ordre monarchique et bourgeois qui s’organise en France à cette même époque. Il est directement branché sur le pouvoir royal qui l’a placé sous la seule autorité du gouvernement civil ". Mais voulant peut-être trop montrer que s’il ne s’agissait pas d’un lieu de médicalisation, il ne pouvait s’agir que d’un lieu d’enfermement, il a présenté l’Hôpital général comme une prison, un lieu clos dont on ne pouvait sortir autrement que par la mort. La mission de l’Hôpital général le laisse d’ailleurs supposer : le renfermement, la clôture, le " grand enfermement ", si le langage est carcéral, l’institution aussi.

Or, aux XVIIe et XVIIIe siècles, les choses ne sont pas si simples, et ce " renfermement " n’est pas clos ni hermétique. Les enfants sont placés en apprentissage hors de la Maison, ils sortent avec les artisans du Sanitat pour effectuer des livraisons en ville, ils se rendent aux enterrements célébrés en ville, et jusque dans les faubourgs ; des pauvres de l’Hôpital sont envoyés aux portes de la ville pour quêter, etc.

Ainsi, les pensionnaires sortent-ils de la Maison pour des missions bien définies comme des travaux ou des livraisons pour le compte de l’Hôpital ; leurs sorties sont fréquentes, vêtus de façon distincte, pour qu’on les reconnaissent comme appartenant à la Maison, ils font partie intégrante du paysage nantais, enfants, mendiants, artisans locataires. Les portes du Sanitat sont surveillées, mais pas gardées ; elles s’ouvrent le matin et se ferment le soir. Mais dans la journée, l’Hôpital joue son rôle dans la cité, au cœur du quartier commerçant de la ville.

Le Sanitat reste encore à découvrir. Léon Maître a ouvert la voie en 1875 à une étude d’envergure des hôpitaux nantais ; et si l’Hôtel-Dieu a trouvé certains de ses historiographes, les bombardements de 1941 ont peut-être tari certaines vocations destinées au Sanitat.

L’établissement mérite l’intérêt que lui portent depuis quelques années des historiens comme Alice Quilès ou Yves Jaouen, et il ne peut demeurer un simple nom de place nantaise se confondant avec l’Église Saint-Louis.

Son étude apportera beaucoup à la connaissance de la ville, de ses hommes, et de ses institutions.

Annexes

 

 

 

 

 

 

 

1 - Plan du Sanitat, extrait de Léon Maître, Histoire administrative des anciens hôpitaux de Nantes, Nantes : Mellinet, 1875, 390 p., rééd. Marseille : Laffitte Reprints, 1981.

2 - Plan de Nantes en 1756, extrait de F. Guilloux, Précis d’Histoire de Nantes, Nantes : E. Cassin, 1938, p.94.

3 - Règlement de police des ville et faubourgs de Nantes, du 16 avril 1568, Adla H 796.

4 - Lettre du Subdélégué de l’Intendant de Bretagne, de la Vergne, au Maire de Nantes – Gérard Mellier – du 3 novembre 1719, Adla H 796.

5 - Déclaration du roi concernant les mendiants et vagabonds du 18 juillet 1724, Adla H 796.

6 - Instruction concernant l’exécution de la Déclaration des Mendiants du 24 juillet 1724, Adla H 796.

7 - Contrat de bail du 21 novembre 1667 passé entre les Directeurs des pauvres et le tissier Jean Aubert, Adla H 715.

8 - Rapport de René Montaudouin au Bureau du Sanitat au sujet de la manufacture de cotonnades, du 6 septembre 1717, Adla H 759 f° 54-55.

9 - Arrêt de la Cour du Parlement de Bretagne du 9 mars 1723, Adla H 798.

10 - Contrat d’apprentissage chez un poulyeur, le 23 janvier 1758, Adla 4 E 16/21.

11 - Budget du Sanitat pour l’année 1698, extrait de Léon Maître, Histoire administrative des anciens hôpitaux de Nantes, Nantes : Mellinet, 1875, 390 p., rééd. Marseille : Laffitte Reprints, 1981, p.348-349.

Sources

 

 

Sources imprimées

 

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  2. Code de l'hôpital-général de Paris, ou Recueil des principaux édits, arrêts, déclarations & réglements qui le concernent, ainsi que les maisons & hôpitaux réunis à son administration, Paris : veuve Thiboust, 1786, 642-61 p.
  3. Encyclopédie ou Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers, par une société de gens de lettres, mis en ordre & publié par M. Diderot, & quant à la partie mathématique, par M. D'Alembert, Paris : Briasson, David l'aîné, Le Breton & Durand, 1751, 17 vol.
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  9. Merlin, Répertoire universel et raisonné de jurisprudence, 4e éd., Paris : Garnery, 1812-1825, 17 vol. (dont 3 vol. d’additions).
  10. Poullain du Parc M., La coutume et la jurisprudence coutumière de Bretagne, Rennes, veuve Vatar, 1778, 448 p.
  11. Statuts et règlements des corps d’arts et métiers de la ville et fauxbourgs de Nantes, Nantes, 1723, 368 p.
  12. Young Arthur, Voyages en France pendant les années 1787, 1788, 1789, Paris : Guillaumin et Cie, 1860, 2 vol., 375 et 480 p.

 

 

Sources manuscrites

 

 

Archives municipales de nantes.

Manufactures.

HH 34 Industries textiles.

Corporations de métiers.

HH 60 Documents généraux.

HH 61 à HH 86 Registres des maîtrises et jurandes (1723-1791).

HH 105 Bonnetiers et fabriquants de bas au métier.

HH 107 Bonnetiers et fabriquants de bas au métier.

HH 126 Cordonniers.

HH 137 Fripiers.

HH 138 Fripiers.

HH 147 Menuisiers.

HH 149 Menuisiers.

HH 150 Menuisiers.

HH 153 Peintres et vitriers.

HH 164 Serruriers.

HH 165 Serruriers.

HH 167 Serruriers.

HH 170 Tailleurs.

HH 171 Tailleurs.

HH 181 à HH 187 Affaires diverses de 1638 à 1787 (documents provenant en grande partie des papiers du subdélégué G. Mellier).

GG 736 à GG 742 Hôpital Général (Sanitat).

GG 743 à GG 745 Secours aux pauvres.

GG 760 à GG 764 Mendicité.

 

 

Archives Départementales de Loire-Atlantique.

H 703 Actes de fondation (1725-1762).

H 704 Titres de propriété – Dons, legs, ventes, acquisitions (1651-1732).

H 714 Transactions et accords sur des immeubles (1681-1785).

H 715 à H 717 Baux à ferme, chambres et magasins sis dans la cour du Sanitat ou aux environs.

H 715 1664-1729.

H 716 1730-1759.

H 717 1760-1790.

H 720 Revenus casuels provenant du privilège exclusif de porter les cierges aux enterrements. Procédures contre les ciergers. État des comptes (1658-1747).

H 721 Revenus casuels provenant du privilège exclusif de la fourniture des châsses aux diverses fabriques des paroisses de Nantes (1649-1745) (cote manquante).

H 722 Revenus casuels provenant du privilège exclusif de la fourniture des armoiries et têtes de morts qui se portent dans les convois (1671-1683).

H 723 Revenus casuels. Droits de lestage et délestage des navires. Titres de donation. Provision de charge de lesteur et délesteur. Baux à ferme. Terrains de décharge (1682-1740).

H 728 Revenus casuels provenant des manufactures de cotonnades, de dentelles, de tapisserie, de lingerie. Règlements, comptes (1680-1768).

H 729 Comptes de l’atelier de Broderie (1773-1790).

H 730 Revenus casuels communs entre le Sanitat et l’Hôtel-Dieu (1577-1777).

H 743 Confrérie de Saint-Roch et de Saint-Sébastien (1643-1750).

H 744 Chapelle du Sanitat (1735-1770).

H 745 à H 747 Convois funèbres. Comptes et produits des billets d’enterrement et des convois auxquels les enfants bleus du Sanitat ont participé.

H 745 1749-1761.

H 746 1761-1773.

H 747 1744-1780.

H 748 Inventaires informes des titres du Sanitat (1742).

H 749 à H 764 Livres de délibérations du bureau des pères des pauvres.

H 749 1653-1657. H 757 1700-1705.

H 750 1657-1661. H 758 1705-1714.

H 751 1661-1663. H 759 1714-1722.

H 752 1663-1667. H 760 1722-1737.

H 753 1667-1674. H 761 1737-1763.

H 754 1674-1681. H 762 1763-1782.

H 755 1681-1691. H 763 1782- An IV.

H 756 1691-1700. H 764 Délibérations spéciales (1729-1791).

H 765 Recueil contenant un certain nombre de règlements pour l’hôpital de Nantes (1647-1765).

H 793 Livre de recensement de la population du Sanitat avec indication de l’entrée et de la sortie des pensionnaires (1751-1766).

H 794 Recensements et tableaux de la population du Sanitat (1766-1779).

H 796 Arrêts, ordonnances, règlements relatifs à la répression de la mendicité (1568-1770).

H 797 Rôle des mendiants avec leurs signalements (1724-1786).

H 798 Enfants de police. Ateliers d’apprentissage. Arrêts, Règlements. Débats avec les corps de métiers (1651-1785).

H 799 Registre matricule des enfants de police reçus au Sanitat.

H 800 Registre matricule des enfants de police (1713-1785).

H 801 Répertoire et registre matricule des enfants de police (1786-1792).

 

Bibliographie

 

 

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